[2017-04] - L’obligation réelle environnementale : un objet juridique non identifié ? - A.- La charge

par Guilhem GIL, maître de conférences à Aix-Marseille Université
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A.- La charge

Deux questions essentielles se posent à propos de la charge réelle née du contrat : d’une part, quels sont ses contours (1), d’autre part, quelle est sa nature (2) ?

1.- La délimitation de la charge.
Le parti pris du législateur est tout entier résumé dans les affirmations de la rapporteure du projet de loi à l’Assemblée qui souligna que «la mobilisation d’un outil de type contractuel permet de garantir une grande souplesse dans l’élaboration des modalités de l’accord, au plus près des réalités écologiques, sociales et économiques locales. Il appartient, en effet, aux parties elles-mêmes de décider librement des mesures les plus adaptées aux enjeux environnementaux identifiés sur une ou plusieurs parcelles, du calendrier éventuel des actions successives ou encore des conditions de révision et de sorite de l’accord.» En somme, la seule contrainte venant ici borner la liberté contractuelle réside dans l’exigence téléologique qui pèse l’obligation réelle définie par l’article L. 132-3, alinéa 1er, in fine comme ayant «pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’élément de la biodiversité ou de fonctions écologiques.»

Dès lors qu’elle s’inscrit dans une perspective conforme aux prévisions légales, l’obligation réelle environnementale peut donc être librement modelée par les parties. Ainsi que le soulignent les travaux parlementaires, «le champ des obligations possibles est large, recouvrant aussi bien des obligations négatives de ne pas faire (maintenir ou conserver) que des obligations positives de faire (gérer ou restaurer).» Peuvent alors notamment être mises en place des obligations relatives à la prévention de l’artificialisation des sols, à la mise en place de pratiques durables restaurant la qualité des terres, à l’implantation d’aménagements arborés appelant une mise en œuvre répartie sur plusieurs années, à l’adoption de pratiques culturales respectueuses de l’environnement.

L’octroi aux parties d’une telle liberté a néanmoins été contesté au cours du processus parlementaire. Un amendement sénatorial avait en effet été déposé afin d’inscrire dans la loi une disposition prévoyant que les conditions d’application de l’article L. 132-3 seraient fixées par un décret en Conseil d’Etat qui déterminerait notamment la nature des clauses pouvant être insérées à titre indicatif dans le contrat. Même si les promoteurs de cet amendement se défendaient de vouloir limiter la liberté des parties et arguaient du caractère seulement indicatif de ces clauses types règlementaires, il apparaît bel et bien que leur démarche était inspirée par le souhait d’éviter «la conclusion de conventions fantaisistes». Cette initiative a été rejetée, notamment sur les recommandations du gouvernement qui craignait que la rédaction d’un décret ne risque de contraindre la mise en place des obligations réelles environnementales.

2.- La nature de la charge
La question de la nature de la charge créée par le contrat a régulièrement été évoquée au cours des débats parlementaires, sans jamais trouver de réponse assurée. Avant même que le législateur ne s’engage dans la voie de la transposition en droit français des «conservation covenants» anglo-saxons, la piste d’un recours à la notion de droit réel de jouissance spéciale avait été évoquée en doctrine. Cette proposition visait essentiellement à tirer parti de l’affirmation en jurisprudence de la faculté pour un propriétaire, sous réserve des règles d’ordre public, de consentir à un tiers un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien. Pour intéressante qu’elle ait été, cette méthode ne correspond pas au dispositif institué par la loi du 8 août 2016. Ainsi que cela a été observé, le droit réel de jouissance spéciale «confère une simple faculté d’usage à un tiers ; il n’instaure aucun rapport d’obligation entre son titulaire et le propriétaire du bien concerné.» En d’autres termes, si le droit réel de jouissance permet indirectement d’imposer au propriétaire une obligation de ne pas faire en conférant à autrui le pouvoir de tirer parti de certaines des utilités de la chose, il est inapte à soumettre ce propriétaire à une obligation de faire. Or, il a été constamment souligné au cours des travaux parlementaires que le dispositif légal a précisément été conçu comme visant à permettre la création d’obligations négatives comme positives, les premières étant des «obligations de ne pas nuire» tandis que les secondes sont des «obligations de protéger.»

Dès lors, c’est bien évidemment vers le mécanisme de l’obligation propter rem que se sont tournés certains commentateurs en considérant que les dispositions de l’article L. 132-3 du Code de l’environnement visent bel et bien à engager une personne en raison d’une chose dont elle a la maîtrise, ce qui correspond à la nature de l’obligation propter rem. Cette analyse est cependant loin de faire l’unanimité. A l’encontre de la qualification d’obligation propter rem, il a notamment été observé que si l’on adopte l’analyse traditionnelle selon laquelle l’obligation réelle ne peut être que l’accessoire d’un droit réel, alors le choix de cette qualification «ne convainc pas.» En effet, le cocontractant du propriétaire ayant consenti les obligations n’est titulaire d’aucun droit réel sur le fonds et les obligations ainsi créées existent à titre principal, indépendamment de tout droit réel et en contrariété au principe selon une obligation propter rem «est adjointe au droit réel issu du démembrement.» La solution se trouve-t-elle alors dans la qualification voisine d’obligation scripta in rem ? Contrairement à l’obligation propter rem, l’obligation scripta in rem «n’est pas une obligation accessoire car la charge qui pèse sur le propriétaire contribue à dessiner les limites de son droit, son assiette, son objet.» Néanmoins, il n’est pas certain que cette qualification soit adéquate eu égard au fait que le texte laisse le loisir d’estimer que «l’obligation réelle ne grève pas le bien en tant que tel mais le patrimoine du propriétaire-débiteur.»

En réalité, loin de se préoccuper de la nature exacte du mécanisme qu’il mettait en place, le législateur n’a eu manifestement eu qu’une visée : permettre l’institution d’une «obligation environnementale intuitu rei durable et automatiquement transmissible à ses ayants cause, qu’ils soient universels ou particuliers.» Le but a donc ici été de s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle ancienne affirmant que l’acquéreur, en ce qui concerne la chose aliénée, est soumis aux mêmes charges et obligations que son auteur lorsque ces obligations ont eu pour effet de restreindre ou modifier le droit transmis ou qu’elles forment la condition nécessaire de son exercice. Les obligations réelles environnementales se sont donc vu reconnaître la faculté de peser sur le propriétaire les ayant consenties mais aussi sur «les propriétaires ultérieurs du bien», peu important ici qu’elles existent à titre principal ou à celui d’accessoire d’un droit réel.