[2017-04] - L’obligation réelle environnementale : un objet juridique non identifié ?

par Guilhem GIL, maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Ayant pour ambition de reconquérir la biodiversité, la nature et les paysages, la loi du 8 août 2016, parmi les nombreuses mesures que comporte ce texte de nature «encyclopédique», a visé à enrichir la palette des instruments juridiques offerts à des propriétaires fonciers soucieux de vouloir contribuer volontairement à la protection de l’environnement. A cette fin, elle introduit au sein du Code de l’environnement un nouvel article L. 132-3 portant création de la notion d’obligation réelle environnementale. Aux termes de ce texte, «les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naitre à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou des fonctions écologiques.»

 

Ce nouvel instrument, qui a pu être qualifié «d’objet juridique non identifié»2, est le fruit du constat des insuffisances présentées par le droit antérieur qui n’offrait qu’un nombre limité de ressources aux propriétaires désireux de participer spontanément à la protection de l’environnement. La première voie envisageable consiste, pour ces propriétaires, à conclure des conventions avec des tiers partageant leurs préoccupations environnementales. Cette méthode contractuelle peut, notamment, se traduire par l’insertion dans un bail rural de clauses environnementales. Il peut également s’agir de conventions de gestion mettant le bien à la disposition d’une personne qualifiée en matière de protection de l’environnement, telle qu’une association ou le conservatoire de l’espace littoral. Mais, parce qu’elle résulte d’une convention, la protection ainsi mise en place présente la faiblesse inhérente aux droits personnels qui «ne grèvent pas le bien et ne transmettent pas les obligations aux différents ayants droit.»

La pérennité du dispositif de protection appliqué au bien passe donc nécessairement par le recours à la notion de charge réelle et donc par les servitudes conventionnelles. Mais le régime juridique de ces dernières les rend ici inadéquates pour deux raisons principales. D’une part, aux termes de l’article 686 du Code civil, les services fonciers ne peuvent être imposés ni à la personne ni en faveur de la personne mais seulement à un fonds et pour un fonds. Grever un immeuble d’une servitude conventionnelle environnementale n’est donc envisageable qu’à condition de trouver au préalable un fonds dominant en faveur duquel serait établi le service. La tâche n’est certes pas absolument impossible. On peut en effet songer à détacher par vente ou donation une fraction de ce qui deviendra le fonds servant pour créer ainsi un fonds dominant voisin. Mais, outre le fait qu’elle impose au propriétaire de se départir irrémédiablement d’une partie de son bien, cette méthode relève tellement de l’artifice que sa légitimité paraît bien faible. En effet, la charge que permettra de créer cette division formelle n’est objectivement pas conforme au principe de l’article 637 du Code civil imposant qu’elle soit constituée «pour l’usage et l’utilité» du fonds dominant. D’autre part, il est constant qu’une servitude conventionnelle «ne peut jamais consister en une obligation de faire.» Cette prohibition des servitudes in faciendo cantonne donc cet instrument dans le domaine «des obligations passives, ce qui nuit à une gestion active visant à protéger durablement la biodiversité.»

Insatisfaisante du point de vue des propriétaires, l’offre de ressources s’est avéré l’être tout autant du point de vue des acteurs institutionnels ou para-institutionnels de la protection de la biodiversité. Ainsi qu’en témoigne certaines études étrangères mais dont les conclusions étaient tout à fait transposables à la France, le seul véritable moyen efficace de garantir durablement la préservation de la biodiversité sur un espace donné consistait pour ces acteurs à acquérir la propriété de cet espace. Or, cette faculté se heurte à deux obstacles évidents. Non seulement son coût particulièrement élevé épuise rapidement les capacités financières de ces acteurs mais encore cette démarche, si tant est qu’elle soit économiquement réalisable, demeure tributaire de la volonté des propriétaires de céder tout ou partie de leur patrimoine foncier. Néanmoins, on peut tout à fait concevoir l’hypothèse dans laquelle un de ces propriétaires serait tout à fait disposé à affecter durablement son bien à la satisfaction de considérations environnementales sans pour autant vouloir en céder la propriété. Réciproquement, un acteur de la protection de l’environnement, propriétaire d’un immeuble, peut fort bien, une fois la biodiversité préservée sur ce site, vouloir céder ce bien mais ne le fera de toute évidence qu’à condition d’avoir la garantie que les propriétaires successifs de celui-ci respecteront le travail effectué et assumeront à leur tour la tâche de conserver l’environnement.

Le constat dressé par les promoteurs de la loi du 8 août 2016 a donc été celui d’une insuffisance de l’arsenal juridique existant qui, en matière de protection de l’environnement, reposait trop largement sur des mesures contraignantes et n’offrait, s’agissant d’une implication volontaire dans cet enjeu, qu’une «base contractuelle insuffisamment pérenne ou exigeante.» Le parti a donc été pris de s’inspirer de systèmes étrangers ayant su introduire les outils juridiques permettant à un propriétaire de créer «des obligations durables de gestion d’éléments de la biodiversité ou de services écosystémiques.» La principale source d’inspiration a résidé ici dans les avancées réalisées par certains droits anglo-saxons étant parvenus à dépasser les obstacles apportés par les concepts traditionnels de droit personnel et de servitude. En ce domaine, les Etats-Unis ont joué un rôle pionnier puisque les premières lois d’Etats fédérés autorisant les propriétaires à consentir sur leur fonds des obligations réelles environnementales au travers de «conservation covenants» remontent aux années 1950. Edictées afin de libérer ce type d’instrument des contraintes que faisaient peser sur lui les règles ordinaires encadrant les servitudes, ces lois se sont multipliées jusqu’à être aujourd’hui présentes dans la législation de quasiment tous les Etats fédérés. Ce dispositif a connu, principalement en raison des incitations fiscales qu’il comporte, un réel succès et on estime qu’il existe aux Etats-Unis environ 100 000 contrats de ce type couvrant plus de 7 millions d’hectares. La pratique des «conservation covenants» s’est étendue à partir des années 1970 au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, rencontrant à chaque fois un réel écho en pratique.

En Europe, le concept a été introduit en Ecosse au début des années 2000 à l’occasion de l’abolition des vestiges du système féodal, et la Suisse a mis en place, à la même époque, la notion de charge foncière consistant en une obligation que doit le propriétaire, sur son immeuble, à une tierce personne et non pas à un fonds dominant. En ce qui concerne la France, l’introduction d’un tel dispositif est envisagée depuis les travaux du Grenelle de l’environnement. Dans un rapport publié en 2008, le comité opérationnel «trames bleues et vertes» avait recommandé la mise en place d’un instrument inspiré des servitudes conventionnelles de droit civil et permettant de pérenniser les actions en faveur de la protection de la biodiversité au travers de la constitution d’une «auto-servitude» ou de l’acceptation d’une obligation réelle. Ces propositions ont été reprises en 2011 par un rapport d’information parlementaire proposant l’introduction en droit français d’un dispositif de servitude conventionnelle environnementale ou, alternativement, d’obligation réelle environnementale.

Les dispositifs mis en place par les divers systèmes étrangers, bien que comportant chacun leurs spécificités destinées à répondre aux besoins ou aux traditions locales, ont en partage avec les propositions formulées en France de permettre à un propriétaire foncier de souscrire un engagement volontaire réalisé dans un but d’intérêt général et au profit d’une personne morale, cet engagement ayant vocation à continuer d’être mis en œuvre même après que le bien qui en fait l’objet soit sorti du patrimoine de l’auteur de l’engagement. Ce sont ces traits caractéristiques que l’on retrouve dans le concept d’obligation réelle environnementale : par un engagement volontaire (I), le droit de propriété de l’une des parties se voit affecté d’une charge à visée environnementale (II) qui sera transmise avec la titularité du fonds.


 

 

 

I.- Un engagement volontaire

Tout au long des débats parlementaires, il a été souligné à de nombreuses reprises que la création d’une obligation réelle ne pouvait découler que d’un «engagement volontaire librement consenti», qu’il s’agissait d’une «démarche volontaire» ou encore que, s’agissant de la création d’une obligation réelle, «rien n’est obligatoire.» Si l’on ne saurait donc se méprendre sur le caractère entièrement libre de la démarche visant à instituer une telle obligation, encore faut-il déterminer la manière dont cet engagement va pouvoir s’exprimer. Or, à ce propos, le processus d’élaboration de la loi a été marqué par ce qui a pu être qualifié de «grande différence de philosophie» entre les chambres, ce qui paraît être une façon d’évoquer avec diplomatie un véritable dialogue de sourds entre les assemblées. Pour le Sénat, qui suivait en cela la conception du gouvernement à l’origine du projet, les choses étaient plutôt claires : l’obligation réelle environnementale est bel et bien «un dispositif contractuel» et l’engagement volontaire du propriétaire va se formaliser au travers de la conclusion d’une convention. En revanche, du côté de l’Assemblée, l’approche de cette question s’est avérée beaucoup moins assurée, pour ne pas dire totalement floue et hasardeuse. En effet, pour certains députés et notamment la rapporteure du projet, les obligations réelles «ne sont pas forcément contractuelles» et peuvent «résulter d’un engagement volontaire individuel non contractuel.» Au nom d’une telle analyse, toute tentative visant à rappeler ou à appliquer certaines règles du régime des contrats a été vivement écartée par l’Assemblée afin de ne pas accréditer «l’idée selon laquelle une obligation réelle environnementale naît toujours d’un contrat.» L’esprit d’une telle position tendrait donc à ouvrir largement la création de telles obligations qui pourraient alors notamment naître d’un acte unilatéral de volonté.

Bien que vigoureusement défendue par certains parlementaires, cette faculté pour l’obligation réelle de naître en dehors du contrat ne saurait être retenue, et cela pour deux raisons principales. D’une part, les qualifications juridiques employées les partisans de cette thèse se sont révélées parfois plus que fluctuantes puisque l’obligation réelle a, tour à tour, été qualifiée d’engagement volontaire individuel non contractuel, de servitude ou encore de contrat unilatéral. L’ampleur des difficultés éprouvées par les rédacteurs du texte lorsqu’il s’est agi de cerner la nature juridique de leur création démontre amplement qu’il ne faut pas accorder trop de poids à des déclarations hâtives ou contradictoires. D’autre part, l’affirmation selon laquelle l’obligation ne nait pas nécessairement d’un engagement contractuel est démentie de manière flagrante par la lettre même de la loi. A cet égard, la position de l’Assemblée est des plus étonnantes puisque, après avoir combattu l’introduction dans le texte de références au régime des contrats, elle a voté un texte dans lequel l’obligation réelle environnementale ne s’inscrit que dans un seul cadre : celui du contrat ! Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que le texte prévoit que «les propriétaires […] peuvent conclure un contrat», que «les engagements réciproques […] doivent figurer dans le contrat», ou encore que la loi se réfère explicitement au «contrat faisant naître l’obligation réelle.»

Quoiqu’il en ait été dit au cours des débats, il faut donc approuver l’analyse selon laquelle la source de l’obligation réelle «ne peut donc être que conventionnelle.» Cette solution est d’ailleurs la seule conforme à l’intention des auteurs du projet de loi qui, dans l’exposé des motifs, ont clairement souligné que l’obligation réelle environnementale était un «outil reposant sur la liberté contractuelle.» Cette liberté des parties dans le façonnage de cet outil (A) n’est toutefois pas absolue car elle ne peut bien évidemment s’exercer qu’en respectant les droits des tiers (B).


 

A.- Le façonnage de l’outil

Les aspects les plus saillants du texte concernent ici la qualité des parties au contrat (1), l’existence de mentions obligatoires (2) et, enfin, sa soumission à des exigences de forme (3).

1.- Les parties au contrat
Le propriétaire. Les obligations réelles ne peuvent être consenties, selon les prévisions de l’article L. 132-3, alinéa 1er, que par «les propriétaires de biens immobiliers.» Dans la version originelle du texte, le champ d’application de la loi dans l’espace était limité aux zones naturelles, agricoles ou forestières dans lesquelles la préservation ou la restauration de la biodiversité paraissait primordiale. Cette restriction spatiale a cependant été abandonnée au cours des débats afin de faire en sorte que «l’obligation réelle environnementale [puisse] s’appliquer partout, dans un espace urbain, un jardin, à la campagne, en forêt.» On soulignera, par ailleurs, qu’il n’est absolument pas exigé que l’obligation s’étende sur l’intégralité du fonds. Elle peut dès lors avoir une assiette retreinte et ne porter, ainsi que cela a été évoqué lors de l’élaboration du texte, que «sur un morceau de jardin.»

Il a été justement observé que la loi ne vise que «les propriétaires», ne se préoccupant ainsi que du seul modèle de la pleine propriété individuelle. Il faut alors bien évidemment adapter cette disposition, d’une part, aux hypothèses de propriété collective, et, d’autre part, à celle des démembrements de propriété. Eu égard à la gravité des conséquences résultant de la mise en place d’une obligation réelle environnementale, il ne fait guère de doute que la passation d’un tel contrat relève de la catégorie des actes de disposition, à l’instar de la constitution de droits réels principaux ou accessoires. Usufruitier et nu-propriétaire doivent donc tous deux donner leur consentement, de même qu’il est impératif de réunir le consentement de toutes les parties à l’exercice d’une propriété collective.

Les créanciers. Aux termes de l’article L. 132-3, alinéa 1er, le contrat donnant naissance à l’obligation réelle peut être conclu «avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement.» En cette matière, le législateur français a retenu une voie médiane. À une extrémité du spectre des diverses solutions envisageables, certains systèmes juridiques ne permettent la conclusion de tels contrats qu’avec des collectivités publiques. À l’autre extrémité, certains Etats admettent de façon très libérale que le contrat puisse être conclu avec des personnes morales publiques comme privées, y compris dans ce dernier cas des acteurs agissant à but lucratif. Un amendement parlementaire visait à cet égard à élargir la contractualisation à l’ensemble des personnes morales de droit privé au motif que la limitation aux seules personnes morales de droit privé agissant pour la protection de l’environnement conduirait à devoir se priver de l’expertise et du savoir-faire d’un certain nombre d’entreprises en matière de gestion de la biodiversité. Cet élargissement du cercle des contractants potentiels a été vivement rejeté afin de prévenir le risque d’une instrumentalisation ou d’un dévoiement des obligations réelles environnementales.

La détermination ainsi opérée par le législateur a été doublement critiquée. Il lui a, tout d’abord, été reproché de ne pas avoir exigé suffisamment de garanties de la part des personnes morales de droit privé. Il est vrai que la plupart des systèmes étrangers admettant l’intervention de groupements de nature associative subordonnent à la détention d’un agrément la faculté de conclure des contrats emportant constitution d’obligations réelles. Le grief a, par ailleurs, également été soulevé d’un caractère trop restrictif de l’énumération légale qui exclurait les maîtres d’ouvrage débiteurs d’une obligation de compensation. Une telle interprétation ne parait pas conforme à la volonté des rédacteurs du texte qui ont, à l’occasion des débats parlementaires, explicitement souligné que la notion de personne morale de droit privé agissant pour l’environnement ne se cantonne pas aux seules associations mais concerne également les opérateurs de compensation et les aménageurs.

2.- Les mentions obligatoires
L’article L. 132-3, alinéa 3, énonce les mentions obligatoires devant figurer dans le contrat qui donne naissance à l’obligation réelle environnementale : il s’agit de la durée des obligations (a), des engagements réciproques (b) et, enfin des possibilités de révision et de résiliation (c).

a) La durée. L’article L. 132-3, alinéa 3, qui énonce les éléments devant figurer dans le contrat, vise au premier rang d’entre elles «la durée des obligations.» Le texte n’imposant lui-même aucune durée particulière, s’est naturellement posée la question de la latitude ici conférée aux parties. Selon une opinion, l’absence de toute limite temporelle dans la lettre de la loi devrait être interprétée comme permettant de «grever le bien par contrat d’une obligation réelle qui peut être perpétuelle.» Une telle analyse ne saurait être retenue. L’absence d’indication de durée dans le texte ne doit pas, en effet, être comprise comme permettant de retenir un engagement perpétuel mais procède des tribulations connues par la rédaction du texte lors de son cheminement parlementaire. La version originelle du projet de loi ne contenait, en effet, aucune mention de durée. Mais, à la suite d’un amendement sénatorial, visant à mettre le texte «en cohérence avec le principe de prohibition des engagements perpétuels», la lettre du projet été modifiée pour plafonner la durée des obligations réelles à 99 ans. Cette précision a cependant finalement été retirée du texte définitif par le législateur sous l’influence de deux facteurs.

La première de ces causes tient aux réactions d’incompréhension suscitées dans l’opinion publique par la mention d’une durée 99 ans. Pour reprendre les termes du rapporteur au Sénat, «en inscrivant cette limite dans le projet de loi, nous nous sommes pour ainsi dire tiré une balle dans le pied. Tout de suite, en effet, les gens ont cru qu’ils seraient obligés de s’engager pour une durée de 99 ans.» Afin de dissiper tout ambigüité sur le fait qu’on «ne contracte pas une obligation pour 99 ans mais pour une période comprise entre un jour et 99 ans», il était donc préférable de faire disparaitre du texte toute indication de durée et de laisser s’appliquer, dans le silence de la loi, le droit commun des contrats tel que formulé au sein de l’article 1210 du Code civil.

Le second facteur ayant grandement contribué à la disparition de toute mention explicite de durée tient à l’irréconciliable divergence d’analyse entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur la source de l’obligation réelle. Pour la chambre haute, cette obligation est, par nature, le fruit d’un contrat et il était donc légitime de rappeler à cet égard les règles du régime de droit commun des conventions. En revanche, pour l’Assemblée nationale et notamment la rapporteure du projet, les obligations réelles «ne sont pas forcément contractuelles» et peuvent «résulter d’un engagement volontaire individuel non contractuel.» Dès lors, les règles ordinaires du droit des contrats, et notamment celles relatives à la durée des conventions, non seulement n’auraient pas à figurer dans la loi mais encore seraient «contreproductives» car affaiblissant un dispositif adapté à la reconquête de la biodiversité.

Même si la position ainsi défendue a triomphé et a conduit à supprimer toute mention légale de durée, sa pertinence est des plus discutables pour au moins trois raisons. En premier lieu, il faut rappeler que les qualifications juridiques employées certains parlementaires se sont révélées parfois plus qu’hasardeuses. Ayant eux-mêmes peiné à identifier la nature juridique de leur création, les promoteurs du texte n’étaient peut-être pas les plus à même de déterminer le régime qui lui était le plus approprié. En second lieu, la position défendue par certains députés voyant dans la soumission au régime des contrats un facteur d’affaiblissement du dispositif s’écarte radicalement de la vue partagée ici par le Sénat et le gouvernement. En effet, ce dernier s’est notamment fermement opposé à plusieurs amendements qui visaient à plafonner à 30 ans la durée de l’obligation réelle au motif tantôt qu’une telle limite correspondrait tantôt à une vie d’exploitation, tantôt à un terme raisonnable permettant de réévaluer le contexte environnemental. Afin de rejeter ces propositions, le gouvernement a constamment fait valoir, d’une part, que l’adoption de tels amendements amoindrirait considérablement la portée du dispositif et, d’autre part, que dès lors qu’il s’agit d’un contrat devant être adapté à la réalité du terrain, il ne fallait «pas trop encadrer sa durée : dans certains cas, elle devra être d’un an, dans d’autres, elle devra être beaucoup plus longue.». Ce sont d’ailleurs, les mêmes arguments qui ont fondé le refus du gouvernement de voir établie dans la loi une durée minimale de l’obligation. Le parti ayant été pris de laisser «aux contractants la liberté de fixer ensemble la durée du contrat», cette liberté ne peut s’exercer que dans les bornes du droit commun. Enfin, et en troisième lieu, il faut revenir au texte voté par l’Assemblée nationale elle-même et qui s’ouvre par la mention selon laquelle «les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat…». Dès lors qu’un instrument qualifié explicitement par ses promoteurs «d’outil foncier contractuel» va donner naissance à des obligations qui, comme on l’a justement souligné, peuvent être des obligations de faire, la perpétuité doit être logiquement exclue et le droit commun de l’article 1210 reprendre son empire.

b) Les engagements réciproques. La version originelle du projet de loi n’exigeait pas que les engagements réciproques des parties figurent impérativement dans le contrat. Cette mention est le fruit d’un amendement présenté devant le Sénat, ce dernier ayant défendu durant tout le processus parlementaire qu’en matière de création d’une obligation réelle environnementale, «le principe est celui du contrat.» Or, dans un contrat, «l’effort consenti par l’une des parties suppose une contrepartie de la part de l’autre. Sinon, il s’agit plutôt d’une libéralité.» Souhaitant dérouler pleinement la pelote de la logique contractuelle, le Sénat avait d’ailleurs également introduit dans le texte un alinéa indiquant que «l’obligation réelle cesse de plein droit lorsque la contrepartie prévue au contrat ayant fait naître l’obligation réelle cesse.» En faisant abstraction de ce qu’un parlementaire a qualifié de «lyrisme absolu» de la rédaction de cet amendement, cette adjonction traduisait la volonté de «ne pas oublier que les obligations réelles environnementales sont des contrats passés entre les deux parties. Le contrat doit donc être équilibré et procurer les mêmes droits et engagements. Par cet amendement, nous proposons que, si une partie ne respecte pas ses engagements, l’obligation réelle prenne automatiquement fin.»

Une telle vision avait été contestée par la minorité sénatoriale qui faisait valoir deux arguments. D’une part, la notion de contrepartie n’était pas définie dans les alinéas précédents qui se bornaient à viser de manière générale la notion «d’engagements réciproques». D’autre part et surtout, la référence à l’idée de contrepartie s’avérait en décalage avec une vision du dispositif des obligations réelles environnementales conçu comme reposant «d’emblée sur une forte volonté d’engagement unilatéral de la part de celui qui consent une telle obligation.» Cette conception d’un régime détaché du cadre contractuel a, comme on l’a évoqué précédemment, animé la majorité à l’Assemblée et a conduit à la suppression de cette mention. Partant du postulat selon lequel les obligations réelles environnementales «ne sont pas forcément des contrats», elle a considéré qu’«il n’y a donc aucun intérêt à préciser que l’obligation réelle cesse de plein droit lorsque la contrepartie prévue au contrat ayant fait naître l’obligation réelle cesse.»

On ne peut que reprendre, ici encore, le constat effectué à l’occasion de l’examen de la durée de l’obligation. Même si l’Assemblée n’a eu de cesse de se faire le chantre de l’engagement unilatéral philanthropique, le texte qui a été voté ne correspond absolument pas à cette vision. Effacer d’un trait de plume toutes les tentatives de donner à la nouvelle institution un caractère contractuel trop marqué ne fait en rien disparaitre le fait, d’une part, qu’elle tire son existence d’un contrat, ainsi que le précise explicitement le texte voté par l’Assemblée et, d’autre part, que ce même texte approuvé par l’Assemblée impose la mention, et donc l’existence, «d’engagements réciproques» constitutifs d’un contrat synallagmatique. Comme cela a été souligné, il découle de cette rédaction que «le contrat d’obligation réelle est forcément un acte à titre onéreux, le bénéficiaire de l’obligation promettant de fournir une prestation […]. Il ne peut exister d’obligation réelle environnementale purement gratuite.» Dans l’esprit du législateur, cette contrepartie peut notamment consister dans l’exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties que les communes peuvent, depuis le 1er janvier 2017 et sur délibération du conseil municipal, accorder aux propriétaires ayant conclu une obligation réelle environnementale. Pour reprendre l’exemple donné par l’un des rapporteurs du texte, on peut envisager qu’une commune contracte avec un propriétaire foncier une obligation réelle environnementale prévoyant la plantation par celui-ci d’une haie sur un kilomètre pour restaurer un paysage bocager. En contrepartie, la commune exonérera ce propriétaire de taxe foncière sur la propriété non bâtie pour une durée qui sera déterminée librement entre les parties.

Cette exonération fiscale, qui peut jouer le rôle de contrepartie lorsque le contrat est conclu avec la collectivité locale, a plus généralement comme finalité d’encourager les propriétaires fonciers à s’engager dans le processus des obligations réelles environnementales. Au cours des débats parlementaires, s’est naturellement posée la question de savoir si le législateur devait aller plus loin dans la promotion du dispositif nouveau au travers des incitations fiscales. Selon ses promoteurs, de telles mesures fiscales, allant au-delà de l’exonération de taxe foncière qui constitue une mesure «relativement symbolique», permettraient de rendre plus attractive la création d’obligations réelles, notamment au travers d’une exonération fiscale des dépenses de maintien, de conservation, de gestion ou de restauration, d’éléments de la biodiversité. Le parallèle a ainsi été établi avec les crédits d’impôts dans le domaine de l’énergie ou encore avec les dispositifs fiscaux s’appliquant déjà dans certains espaces naturels protégés comme les parcs nationaux ou les sites Natura 2000. Même si cette proposition a, dans l’ensemble, rencontré un écho plutôt favorable auprès des parlementaires, elle n’a pas été retenue au motif que, «si l’idée de concilier l’effort accompli par le souscripteur d’une obligation réelle avec une contrepartie fiscale est certainement bonne […], une telle disposition aurait davantage sa place dans une loi de finances […] et n’a pas été suffisamment préparée pour être adoptée dans le cadre de la présente loi.»

c) Les possibilités de révision et de résiliation. Sur ce point également, le texte a substantiellement évolué entre la version introduite par le gouvernement et celle adoptée par le parlement. La lettre du projet originel n’envisageait, au titre des mentions obligatoires, que la durée et «les possibilités de résiliation.» Le Sénat a jugé nécessaire de compléter le texte en imposant que figurent également les possibilités de «révision» du contrat. Une fois n’étant pas coutume, cette adjonction a trouvé grâce aux yeux de l’Assemblée. Elle est en effet conforme à l’affichage d’une «volonté affirmée de pragmatisme» commandant de «garantir une grande souplesse dans l’élaboration des modalités de l’accord, au plus près des réalités écologiques, sociales et économiques.» L’intégration dans le contrat de modalités de révision des engagements réciproques permet donc d’anticiper d’éventuelles difficultés inhérentes aux fluctuations pouvant affecter le fonds et la biodiversité qu’il contient.

3.- La forme du contrat
Selon les prévisions de l’article L. 132-3, alinéa 4, le contrat faisant naître l’obligation réelle doit être «établi en la forme authentique.» La question a été soulevée de savoir si cette disposition avait une incidence sur la nature du contrat et si ce dernier était donc consensuel ou solennel. Il résulte des travaux parlementaires que le texte retenu in fine résulte d’un amendement visant à remplacer la passation du contrat par acte sous seing privé, telle qu’envisagée initialement par le projet de loi et soutenue par l’Assemblée, par un acte authentique considéré par les promoteurs de cet amendement sénatorial comme «le seul moyen fiable de garantir l’inscription de l’obligation réelle au fichier immobilier.» C’est donc manifestement dans un pur objectif de publicité foncière que le recours à l’acte authentique a été imposé. Dès lors, il semble justifié d’affirmer que, conformément au principe posé par l’article 1173 du Code civil disposant que «les formes exigées aux fins […] d’opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats», le contrat donnant naissance à l’obligation réelle demeure consensuel. Afin que l’obligation de conclure le contrat sous la forme authentique ne s’avère pas être une entrave au développement de ce type d’instrument, le Sénat a obtenu que le texte prévoit que le contrat «n’est pas passible de droits d’enregistrement et ne donne pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière prévus respectivement aux articles 662 et 663 du Code général des impôts.»


 

B.- Le respect des droits des tiers.

La liberté du propriétaire de consentir des obligations environnementales sur son fonds trouve une limite générale tenant au respect des droits des tiers. L’usage par le propriétaire de sa liberté contractuelle doit en effet respecter les engagements que celui-ci avait pu précédemment consentir et ne saurait compromettre les intérêts de ceux auxquels la jouissance du fonds a été conventionnellement accordée afin qu’ils y exercent une activité. Ainsi que l’a exprimé un parlementaire, le propriétaire doit «s’assurer ex ante que la conclusion du contrat ne le met pas en porte-à-faux avec les autres titulaires de droits dont il est redevable.» Le texte envisage alors deux hypothèses ayant été jugées comme appelant une attention particulière : celle du preneur à bail rural (1) et celle des titulaires de droits de chasse (2).

1.- Les droits du preneur à bail rural
Au titre de la préservation des droits des tiers, l’article L. 132-3, alinéa 5, dispose tout d’abord que le propriétaire qui a consenti un bail rural sur son fonds ne peut, à peine de nullité absolue, mettre en œuvre une obligation réelle environnementale qu’avec l’accord préalable du preneur et sous réserve des droits des tiers. La question du respect des droits du fermier a constitué l’un des points les plus controversés des débats parlementaires. Certains parlementaires ont en effet considéré que le dispositif souhaité par le gouvernement «entraverait de façon démesurée le droit de propriété et la capacité d’entreprendre.» Au soutien de cette analyse, ils faisaient valoir que «les éventuels fermiers se verraient obligés de respecter des contraintes environnementales acceptées par le bailleur et le preneur initial sans être indemnisés des coûts ou de la perte de revenus qui en résulterait.» Dès lors, ils réclamèrent au cours des débats la suppression intégrale du dispositif de l’obligation réelle environnementale. Une telle position n’a pas trouvé grâce aux yeux de la majorité qui a souligné que le texte mettait en place toutes les garanties nécessaires à la protection des intérêts du preneur. Ce dernier doit en effet, aux termes de l’article L. 132-3, alinéa 5, donner son consentement préalable, la violation de cette exigence étant ici sanctionnée par une nullité absolue. On peut s’interroger à cet égard sur le choix d’une telle sanction au regard du critère de départ des nullités posé par l’article 1179 du Code civil et qui dispose que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général et elle relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé. Dès lors que l’article L. 132-3, alinéa 5, constitue une disposition visant à la protection des intérêts du preneur, le choix de la nullité absolue ne s’imposait pas d’évidence.

En outre, il convient de souligner que, même si l’accord du fermier constitue une condition nécessaire à la mise en place du dispositif, la manière dont le législateur a appréhendé cette exigence affaiblit dans une certaine mesure, voire dans une mesure certaine, le principe. En effet, il est tout d’abord précisé par la loi que «l’absence d’accord dans le délai de deux mois vaut acceptation.» Eu égard à la gravité potentielle de la création de l’obligation sur l’exercice par le preneur de son activité professionnelle, le recours au principe «silence vaut consentement» n’apparaît pas des plus judicieux. Non contente de faire produire à la passivité ou à la négligence des conséquences démesurées, la loi exige ensuite que, dans l’hypothèse d’un refus du fermier, ce denier motive sa décision. Cette solution a été qualifiée de «déplacée», ce qui constitue, à tout le moins, un euphémisme. Il n’est guère douteux que, dans la très grande majorité des cas, le projet porté par le bailleur d’instituer une obligation réelle environnementale va perturber, voire bouleverser les pratiques agricoles du fermier. Les principes de force obligatoire du contrat de bail et de respect de la parole donnée semblent constituer à ce titre des motifs légitimes de refus qu’il parait superflu de devoir exposer à l’appui d’une telle décision.

Il n’est donc guère surprenant qu’au cours des débats la suppression de cette obligation de motivation ait été proposée, et cela dans le but préserver la liberté du preneur à bail. Une telle proposition a cependant été rejetée au motif que l’exigence d’une motivation n’affecterait en rien la liberté du preneur qui sera toujours libre d’accepter ou de refuser l’obligation réelle, l’obligation de motivation ayant comme seul objet d’éviter un refus de principe. Cette argumentation apparaît peu convaincante puisqu’un tel refus n’a rien en lui-même de condamnable lorsqu’il s’agit de porter atteinte un engagement valablement formé. Elle est encore moins probante lorsqu’à l’appui d’une exigence de motivation, les promoteurs de la loi viennent affirmer qu’en cas de litige, «le juge n’appréciera pas la validité du motif de refus mais se bornera à vérifier que le refus est bien assorti d’un motif, même brièvement exposé.» Mais, si le juge est dépourvu de tout pouvoir de jauger la légitimité du motif, à quoi bon alors imposer une obligation qui peut être satisfaite de manière purement formelle en assortissant la réponse négative de n’importe quel prétexte ? Il eut bien mieux valu, comme cela a été suggéré, laisser agir «le levier de l’abus de droit [qui] aurait sûrement suffi à sanctionner les oppositions mal intentionnées.»

Animée par cette même volonté de ne pas laisser le statut du fermage entraver trop facilement la mise en place d’obligations réelles environnementales, l’Assemblée nationale a également été conduite à repousser la proposition visant à imposer que le contrat comporte obligatoirement une rémunération de l’exploitant agricole pour les mesures environnementales. Ainsi que le soulignaient les promoteurs de cette mesure, cette obligation de rémunération aurait permis de tenir compte «des contraintes extrêmement fortes et durables sur les terres agricoles» exercées par l’obligation réelle. L’exposé des motifs du projet de loi prévoyait d’ailleurs à cet égard que, «si des méthodes culturales respectueuses de l’environnement sont mises en place par le preneur initial et les preneurs suivants, il pourrait être envisagé de varier à la baisse le prix du loyer, au titre de la compensation des charges reposant sur le preneur d’un tel bail.» Néanmoins, ce texte ne faisait pas de la présence d’une rémunération une condition obligatoire et prenait de manière générale le parti selon lequel il appartiendrait au preneur de «négocier librement ‘le prix de son accord’ avec le propriétaire.» C’est au nom de cette «liberté des parties» que l’Assemblée a refusé toute obligation de rémunérer le preneur en considérant, selon les termes de la rapporteure, qu’il «n’est pas question de mesures obligatoires, les parties discutent librement» et «peuvent décider de ne prévoir aucune rémunération comme d’en instaurer une.»

2.- Les droits des chasseurs
La question de la compatibilité entre, d’un côté, la mise en place sur un fonds d’une obligation réelle, et d’un autre côté, l’exercice de la chasse sur ce même fonds a cristallisé les tensions au Parlement. Le texte a connu, en effet, à ce propos durant son parcours de profondes réécritures, chaque chambre s’empressant d’effacer les dispositions écrites par l’autre. Dans sa version la plus radicale, le texte promu par le Sénat visait à exiger l’accord préalable de tous les détenteurs de droits et d’usages avant de pouvoir instaurer une obligation réelle environnementale sur un fonds. S’agissant plus spécifiquement du droit de chasse, le texte sénatorial prenait en compte deux configurations. D’une part, celle des départements de droit local dans lesquels le droit de chasse sur les terrains de moins de 25 ha est administré par les communes en application de l’article L. 429-2 du Code de l’environnement. D’autre part, celle des associations communales de chasse agréées (ACCA) créées pour rassembler les droits de chasse sur les propriétés de la commune lorsque le propriétaire y a adhéré. Le propriétaire n’aurait pu mettre en place sur son fonds une obligation réelle qu’après avoir obtenu l’accord préalable et écrit de la commune ou de l’ACCA. Une telle position s’est heurtée à l’hostilité la plus vive de l’Assemblée qui a fait valoir qu’il «n’y avait aucune raison d’impliquer dans la démarche [de création d’une obligation réelle] la commune ou les détenteurs du droit de chasse» car, en subordonnant ainsi l’initiative du propriétaire à l’accord de ces derniers, on placerait «ces tierces personnes en position de décideurs alors même que les obligations réelles environnementales ne les empêchent nullement d’exercer [leurs] droits et usages.» Afin de rassurer la communauté des chasseurs craignant de ne plus pouvoir chasser sur les terrains faisant l’objet d’une obligation réelle environnementale, l’Assemblée a cependant souhaité faire figurer dans l’article L. 132-3, alinéa 5, la mention finale selon laquelle «la mise en œuvre d’une obligation réelle environnementale ne peut en aucune manière remettre en cause ni les droits liés à l’exercice de la chasse, ni ceux relatifs aux réserves cynégétiques.»


 

 

II.- Une charge réelle finalisée

Selon leurs promoteurs, les obligations réelles «sont les seuls outils alternatifs à l’acquisition foncière permettant de garantir une pérennité des mesures dans le temps et une stabilité dans l’espace, indispensables à la protection de la biodiversité.» Comme cela a été fréquemment souligné au cours des débats, l’obligation réelle «s’inscrit dans le long terme et n’est pas tributaire des multiples changements de propriétaires.» Elle est donc une charge réelle (A) sur laquelle il convient de s’arrêter avant d’envisager les finalités du recours à une telle institution (B).


A.- La charge

Deux questions essentielles se posent à propos de la charge réelle née du contrat : d’une part, quels sont ses contours (1), d’autre part, quelle est sa nature (2) ?

1.- La délimitation de la charge.
Le parti pris du législateur est tout entier résumé dans les affirmations de la rapporteure du projet de loi à l’Assemblée qui souligna que «la mobilisation d’un outil de type contractuel permet de garantir une grande souplesse dans l’élaboration des modalités de l’accord, au plus près des réalités écologiques, sociales et économiques locales. Il appartient, en effet, aux parties elles-mêmes de décider librement des mesures les plus adaptées aux enjeux environnementaux identifiés sur une ou plusieurs parcelles, du calendrier éventuel des actions successives ou encore des conditions de révision et de sorite de l’accord.» En somme, la seule contrainte venant ici borner la liberté contractuelle réside dans l’exigence téléologique qui pèse l’obligation réelle définie par l’article L. 132-3, alinéa 1er, in fine comme ayant «pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’élément de la biodiversité ou de fonctions écologiques.»

Dès lors qu’elle s’inscrit dans une perspective conforme aux prévisions légales, l’obligation réelle environnementale peut donc être librement modelée par les parties. Ainsi que le soulignent les travaux parlementaires, «le champ des obligations possibles est large, recouvrant aussi bien des obligations négatives de ne pas faire (maintenir ou conserver) que des obligations positives de faire (gérer ou restaurer).» Peuvent alors notamment être mises en place des obligations relatives à la prévention de l’artificialisation des sols, à la mise en place de pratiques durables restaurant la qualité des terres, à l’implantation d’aménagements arborés appelant une mise en œuvre répartie sur plusieurs années, à l’adoption de pratiques culturales respectueuses de l’environnement.

L’octroi aux parties d’une telle liberté a néanmoins été contesté au cours du processus parlementaire. Un amendement sénatorial avait en effet été déposé afin d’inscrire dans la loi une disposition prévoyant que les conditions d’application de l’article L. 132-3 seraient fixées par un décret en Conseil d’Etat qui déterminerait notamment la nature des clauses pouvant être insérées à titre indicatif dans le contrat. Même si les promoteurs de cet amendement se défendaient de vouloir limiter la liberté des parties et arguaient du caractère seulement indicatif de ces clauses types règlementaires, il apparaît bel et bien que leur démarche était inspirée par le souhait d’éviter «la conclusion de conventions fantaisistes». Cette initiative a été rejetée, notamment sur les recommandations du gouvernement qui craignait que la rédaction d’un décret ne risque de contraindre la mise en place des obligations réelles environnementales.

2.- La nature de la charge
La question de la nature de la charge créée par le contrat a régulièrement été évoquée au cours des débats parlementaires, sans jamais trouver de réponse assurée. Avant même que le législateur ne s’engage dans la voie de la transposition en droit français des «conservation covenants» anglo-saxons, la piste d’un recours à la notion de droit réel de jouissance spéciale avait été évoquée en doctrine. Cette proposition visait essentiellement à tirer parti de l’affirmation en jurisprudence de la faculté pour un propriétaire, sous réserve des règles d’ordre public, de consentir à un tiers un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien. Pour intéressante qu’elle ait été, cette méthode ne correspond pas au dispositif institué par la loi du 8 août 2016. Ainsi que cela a été observé, le droit réel de jouissance spéciale «confère une simple faculté d’usage à un tiers ; il n’instaure aucun rapport d’obligation entre son titulaire et le propriétaire du bien concerné.» En d’autres termes, si le droit réel de jouissance permet indirectement d’imposer au propriétaire une obligation de ne pas faire en conférant à autrui le pouvoir de tirer parti de certaines des utilités de la chose, il est inapte à soumettre ce propriétaire à une obligation de faire. Or, il a été constamment souligné au cours des travaux parlementaires que le dispositif légal a précisément été conçu comme visant à permettre la création d’obligations négatives comme positives, les premières étant des «obligations de ne pas nuire» tandis que les secondes sont des «obligations de protéger.»

Dès lors, c’est bien évidemment vers le mécanisme de l’obligation propter rem que se sont tournés certains commentateurs en considérant que les dispositions de l’article L. 132-3 du Code de l’environnement visent bel et bien à engager une personne en raison d’une chose dont elle a la maîtrise, ce qui correspond à la nature de l’obligation propter rem. Cette analyse est cependant loin de faire l’unanimité. A l’encontre de la qualification d’obligation propter rem, il a notamment été observé que si l’on adopte l’analyse traditionnelle selon laquelle l’obligation réelle ne peut être que l’accessoire d’un droit réel, alors le choix de cette qualification «ne convainc pas.» En effet, le cocontractant du propriétaire ayant consenti les obligations n’est titulaire d’aucun droit réel sur le fonds et les obligations ainsi créées existent à titre principal, indépendamment de tout droit réel et en contrariété au principe selon une obligation propter rem «est adjointe au droit réel issu du démembrement.» La solution se trouve-t-elle alors dans la qualification voisine d’obligation scripta in rem ? Contrairement à l’obligation propter rem, l’obligation scripta in rem «n’est pas une obligation accessoire car la charge qui pèse sur le propriétaire contribue à dessiner les limites de son droit, son assiette, son objet.» Néanmoins, il n’est pas certain que cette qualification soit adéquate eu égard au fait que le texte laisse le loisir d’estimer que «l’obligation réelle ne grève pas le bien en tant que tel mais le patrimoine du propriétaire-débiteur.»

En réalité, loin de se préoccuper de la nature exacte du mécanisme qu’il mettait en place, le législateur n’a eu manifestement eu qu’une visée : permettre l’institution d’une «obligation environnementale intuitu rei durable et automatiquement transmissible à ses ayants cause, qu’ils soient universels ou particuliers.» Le but a donc ici été de s’inscrire dans la lignée jurisprudentielle ancienne affirmant que l’acquéreur, en ce qui concerne la chose aliénée, est soumis aux mêmes charges et obligations que son auteur lorsque ces obligations ont eu pour effet de restreindre ou modifier le droit transmis ou qu’elles forment la condition nécessaire de son exercice. Les obligations réelles environnementales se sont donc vu reconnaître la faculté de peser sur le propriétaire les ayant consenties mais aussi sur «les propriétaires ultérieurs du bien», peu important ici qu’elles existent à titre principal ou à celui d’accessoire d’un droit réel.


 

B.- Les finalités du recours à l’obligation

Si on laisse de côté ses potentialités en qualité d’adjuvants à la mise en œuvre de politiques publiques, l’obligation réelle environnementale peut s’inscrire dans deux objectifs principaux. D’une part, être employée à des finalités de compensation (1), d’autre part, être l’instrument par lequel un propriétaire va manifester son engagement personnel en faveur de la biodiversité (B).

1.- L’emploi à des fins de compensation
L’article L. 132-3 dispose expressément, en son aliéna 2, que «les obligations réelles environnementales peuvent être utilisées à des fins de compensation.» Elles s’inscrivent donc dans le cadre plus large des principes directeurs de la loi du 8 août 2016 qui consacrent notamment la place éminente du «tryptique “éviter, réduire, compenser”» en droit de l’environnement. En application de l’article L. 163-1 du Code de l’environnement, le maître d’ouvrage, qui est tenu de compenser les atteintes à la biodiversité causées par la réalisation de son projet, dispose d’un choix entre trois voies. Il peut, tout d’abord, réaliser directement des opérations de compensation sur un terrain dont il a la maîtrise. Il peut, ensuite, conclure un contrat avec un tiers afin de lui confier la mission de mettre en œuvre, pour son compte, les mesures compensatoires. Il peut, enfin, acquérir des unités de compensation auprès d’un opérateur sur un site naturel de compensation. L’obligation réelle environnementale peut trouver à être employée dans ces trois hypothèses.

Lorsque l’aménageur choisit de réaliser directement les opérations de compensation, il lui est loisible d’acquérir un fonds sur lequel, au moyen d’un contrat conclu avec une personne qualifiée au sens de l’article L. 132-3 du Code de l’environnement, il fera naître les obligations réelles destinées à éteindre sa dette de compensation. Cette méthode a, cependant, été considérée comme n’étant pas idéale car, bien souvent, «le maître d’ouvrage y campe le rôle d’un propriétaire temporaire et opportuniste qui n’achète que pour créer la charge et s’acquitter de la dette de compensation.»

Lorsque l’aménageur choisit de passer par la conclusion d’un contrat avec un tiers qui réalisera pour son compte les opérations de compensation, va se mettre en place une relation tripartite instituée au travers de la conclusion de plusieurs conventions. Une première convention va être conclue entre l’aménageur et le propriétaire foncier par laquelle ce dernier s’engage à contracter des obligations réelles au titre de la compensation. En application de cet engagement, une deuxième convention, qui va donner naissance aux obligations réelles, est alors consentie par le propriétaire au profit d’une des personnes aptes légalement à conclure cette convention. Enfin, l’aménageur et la personne qualifiée vont conclure une troisième convention par laquelle l’aménageur s’engage à apporter à son cocontractant le financement nécessaire à la rémunération du propriétaire et à la mise en place des mesures compensatoires. Dans cette configuration, l’intervention d’une personne qualifiée, notamment une collectivité publique, permet d’assurer la bonne exécution des obligations de compensation.

Lorsque l’aménageur choisit d’acheter des unités de compensations, l’obligation réelle environnementale peut être employée afin de tailler sur mesure des unités de compensation qui soient «en phase» avec la dette de compensation pesant sur l’aménageur. En effet, dans cette situation, au vu de la nature des obligations de compensation imposées par l’administration à l’aménageur, le propriétaire foncier va consentir à un tiers qualifié des obligations réelles environnementales qui, s’il obtient l’agrément de son site, constitueront autant d’unités de compensation qui pourront être cédées à l’aménageur.

Le recours aux obligations réelles environnementales pour éteindre des dettes de compensation écologique a été vigoureusement combattu au cours des débats parlementaires. Il a, en effet, été proposé de supprimer cet emploi au motif que les obligations réelles environnementales ne sauraient devenir le support du dispositif de compensation car elles sont susceptibles d’engendrer, via le marché de la compensation, des remises en cause du rapport bailleur-preneur et du statut du fermage. Le risque ainsi dénoncé est donc que la consécration par la loi de la «valeur d’échange» de la biodiversité, qui traduit une «conception économique et financière de la nature», ne pousse certains propriétaires, attirés par le gain issu de la vente d’unités de compensation, à exercer des pression sur leurs preneurs pour les contraindre à accepter la conclusion d’obligations réelles. Cette argumentation n’a pas convaincu la majorité qui a estimé que les obligations réelles, même employées à des fins de compensation, «ne peuvent remettre en cause les rapports entre bailleurs et preneurs, dans la mesure où l’accord préalable du preneur à bail est requis.»

2.- Un engagement philanthropique
A côté de l’emploi intéressé des obligations réelles environnementales dans le cadre de l’exécution du devoir de compensation, on peut également concevoir un recours désintéressé à cet outil. Mu par ce que l’on a pu appeler un «civisme environnemental», un propriétaire peut fort bien décider de limiter volontairement ses prérogatives et celle de ses successeurs dans le but de protéger l’environnement et la biodiversité sur son fonds. Le recours à l’obligation réelle environnementale peut alors être un moyen de «ressusciter» les réserves volontaires qui avaient été supprimées par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002. Au travers de la conclusion d’un contrat avec une personne morale qualifiée, le propriétaire va alors, en échange par exemple d’un soutien financier ou technique de son cocontractant, pouvoir mettre en œuvre des pratiques destinées à conserver ou restaurer les atouts environnementaux de son fonds. Ce désintéressement suffit-il à affecter la nature du contrat ? La question peut se poser au regard de l’affirmation, parfois avancée, selon laquelle «le fait que l’objet du contrat est d’intérêt général plaide en faveur d’un contrat administratif.» Au regard des fondements civilistes de la technique utilisée, et en dépit de l’analyse voyant dans ce dispositif une consécration d’un «droit réel à vocation collective», une telle grille de lecture ne saurait de toute évidence être raisonnablement retenue en présence d’une opération ancrée dans l’aménagement des modalités d’exercice de la propriété privée.


 

 

Conclusion

Au terme de ce rapide tour d’horizon du dispositif mis en place par la loi du 8 août 2016, on ne peut qu’appliquer à l’obligation réelle environnementale le constat sévère dressé par un parlementaire à l’égard de la loi toute entière. Comme pour le texte qui la contient, «sa genèse fut poussive» et «son examen fut laborieux». Reste à savoir s’il faut, à l’instar de certaines opinions, compléter ce dyptique par la conclusion selon laquelle son résultat fut «décevant.» Ainsi que cela a été unanimement souligné, la principale faiblesse de ce dispositif réside dans son absence d’attractivité fiscale. On peut en effet craindre que, faute d’incitations financières, ce nouvel outil ne demeure inexploité. Conscient de cette faiblesse, le législateur a d’ailleurs, dans l’article 73 de la loi du 8 août 2016, prévu que dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, le gouvernement dépose un rapport sur la mise en œuvre du mécanisme d’obligations réelles environnementales, ce rapport portant également sur les moyens de renforcer l’attractivité de ce mécanisme, notamment au moyen de dispositifs fiscaux incitatifs.