B.- Le respect des droits des tiers.
La liberté du propriétaire de consentir des obligations environnementales sur son fonds trouve une limite générale tenant au respect des droits des tiers. L’usage par le propriétaire de sa liberté contractuelle doit en effet respecter les engagements que celui-ci avait pu précédemment consentir et ne saurait compromettre les intérêts de ceux auxquels la jouissance du fonds a été conventionnellement accordée afin qu’ils y exercent une activité. Ainsi que l’a exprimé un parlementaire, le propriétaire doit «s’assurer ex ante que la conclusion du contrat ne le met pas en porte-à-faux avec les autres titulaires de droits dont il est redevable.» Le texte envisage alors deux hypothèses ayant été jugées comme appelant une attention particulière : celle du preneur à bail rural (1) et celle des titulaires de droits de chasse (2).
1.- Les droits du preneur à bail rural
Au titre de la préservation des droits des tiers, l’article L. 132-3, alinéa 5, dispose tout d’abord que le propriétaire qui a consenti un bail rural sur son fonds ne peut, à peine de nullité absolue, mettre en œuvre une obligation réelle environnementale qu’avec l’accord préalable du preneur et sous réserve des droits des tiers. La question du respect des droits du fermier a constitué l’un des points les plus controversés des débats parlementaires. Certains parlementaires ont en effet considéré que le dispositif souhaité par le gouvernement «entraverait de façon démesurée le droit de propriété et la capacité d’entreprendre.» Au soutien de cette analyse, ils faisaient valoir que «les éventuels fermiers se verraient obligés de respecter des contraintes environnementales acceptées par le bailleur et le preneur initial sans être indemnisés des coûts ou de la perte de revenus qui en résulterait.» Dès lors, ils réclamèrent au cours des débats la suppression intégrale du dispositif de l’obligation réelle environnementale. Une telle position n’a pas trouvé grâce aux yeux de la majorité qui a souligné que le texte mettait en place toutes les garanties nécessaires à la protection des intérêts du preneur. Ce dernier doit en effet, aux termes de l’article L. 132-3, alinéa 5, donner son consentement préalable, la violation de cette exigence étant ici sanctionnée par une nullité absolue. On peut s’interroger à cet égard sur le choix d’une telle sanction au regard du critère de départ des nullités posé par l’article 1179 du Code civil et qui dispose que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général et elle relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé. Dès lors que l’article L. 132-3, alinéa 5, constitue une disposition visant à la protection des intérêts du preneur, le choix de la nullité absolue ne s’imposait pas d’évidence.
En outre, il convient de souligner que, même si l’accord du fermier constitue une condition nécessaire à la mise en place du dispositif, la manière dont le législateur a appréhendé cette exigence affaiblit dans une certaine mesure, voire dans une mesure certaine, le principe. En effet, il est tout d’abord précisé par la loi que «l’absence d’accord dans le délai de deux mois vaut acceptation.» Eu égard à la gravité potentielle de la création de l’obligation sur l’exercice par le preneur de son activité professionnelle, le recours au principe «silence vaut consentement» n’apparaît pas des plus judicieux. Non contente de faire produire à la passivité ou à la négligence des conséquences démesurées, la loi exige ensuite que, dans l’hypothèse d’un refus du fermier, ce denier motive sa décision. Cette solution a été qualifiée de «déplacée», ce qui constitue, à tout le moins, un euphémisme. Il n’est guère douteux que, dans la très grande majorité des cas, le projet porté par le bailleur d’instituer une obligation réelle environnementale va perturber, voire bouleverser les pratiques agricoles du fermier. Les principes de force obligatoire du contrat de bail et de respect de la parole donnée semblent constituer à ce titre des motifs légitimes de refus qu’il parait superflu de devoir exposer à l’appui d’une telle décision.
Il n’est donc guère surprenant qu’au cours des débats la suppression de cette obligation de motivation ait été proposée, et cela dans le but préserver la liberté du preneur à bail. Une telle proposition a cependant été rejetée au motif que l’exigence d’une motivation n’affecterait en rien la liberté du preneur qui sera toujours libre d’accepter ou de refuser l’obligation réelle, l’obligation de motivation ayant comme seul objet d’éviter un refus de principe. Cette argumentation apparaît peu convaincante puisqu’un tel refus n’a rien en lui-même de condamnable lorsqu’il s’agit de porter atteinte un engagement valablement formé. Elle est encore moins probante lorsqu’à l’appui d’une exigence de motivation, les promoteurs de la loi viennent affirmer qu’en cas de litige, «le juge n’appréciera pas la validité du motif de refus mais se bornera à vérifier que le refus est bien assorti d’un motif, même brièvement exposé.» Mais, si le juge est dépourvu de tout pouvoir de jauger la légitimité du motif, à quoi bon alors imposer une obligation qui peut être satisfaite de manière purement formelle en assortissant la réponse négative de n’importe quel prétexte ? Il eut bien mieux valu, comme cela a été suggéré, laisser agir «le levier de l’abus de droit [qui] aurait sûrement suffi à sanctionner les oppositions mal intentionnées.»
Animée par cette même volonté de ne pas laisser le statut du fermage entraver trop facilement la mise en place d’obligations réelles environnementales, l’Assemblée nationale a également été conduite à repousser la proposition visant à imposer que le contrat comporte obligatoirement une rémunération de l’exploitant agricole pour les mesures environnementales. Ainsi que le soulignaient les promoteurs de cette mesure, cette obligation de rémunération aurait permis de tenir compte «des contraintes extrêmement fortes et durables sur les terres agricoles» exercées par l’obligation réelle. L’exposé des motifs du projet de loi prévoyait d’ailleurs à cet égard que, «si des méthodes culturales respectueuses de l’environnement sont mises en place par le preneur initial et les preneurs suivants, il pourrait être envisagé de varier à la baisse le prix du loyer, au titre de la compensation des charges reposant sur le preneur d’un tel bail.» Néanmoins, ce texte ne faisait pas de la présence d’une rémunération une condition obligatoire et prenait de manière générale le parti selon lequel il appartiendrait au preneur de «négocier librement ‘le prix de son accord’ avec le propriétaire.» C’est au nom de cette «liberté des parties» que l’Assemblée a refusé toute obligation de rémunérer le preneur en considérant, selon les termes de la rapporteure, qu’il «n’est pas question de mesures obligatoires, les parties discutent librement» et «peuvent décider de ne prévoir aucune rémunération comme d’en instaurer une.»
2.- Les droits des chasseurs
La question de la compatibilité entre, d’un côté, la mise en place sur un fonds d’une obligation réelle, et d’un autre côté, l’exercice de la chasse sur ce même fonds a cristallisé les tensions au Parlement. Le texte a connu, en effet, à ce propos durant son parcours de profondes réécritures, chaque chambre s’empressant d’effacer les dispositions écrites par l’autre. Dans sa version la plus radicale, le texte promu par le Sénat visait à exiger l’accord préalable de tous les détenteurs de droits et d’usages avant de pouvoir instaurer une obligation réelle environnementale sur un fonds. S’agissant plus spécifiquement du droit de chasse, le texte sénatorial prenait en compte deux configurations. D’une part, celle des départements de droit local dans lesquels le droit de chasse sur les terrains de moins de 25 ha est administré par les communes en application de l’article L. 429-2 du Code de l’environnement. D’autre part, celle des associations communales de chasse agréées (ACCA) créées pour rassembler les droits de chasse sur les propriétés de la commune lorsque le propriétaire y a adhéré. Le propriétaire n’aurait pu mettre en place sur son fonds une obligation réelle qu’après avoir obtenu l’accord préalable et écrit de la commune ou de l’ACCA. Une telle position s’est heurtée à l’hostilité la plus vive de l’Assemblée qui a fait valoir qu’il «n’y avait aucune raison d’impliquer dans la démarche [de création d’une obligation réelle] la commune ou les détenteurs du droit de chasse» car, en subordonnant ainsi l’initiative du propriétaire à l’accord de ces derniers, on placerait «ces tierces personnes en position de décideurs alors même que les obligations réelles environnementales ne les empêchent nullement d’exercer [leurs] droits et usages.» Afin de rassurer la communauté des chasseurs craignant de ne plus pouvoir chasser sur les terrains faisant l’objet d’une obligation réelle environnementale, l’Assemblée a cependant souhaité faire figurer dans l’article L. 132-3, alinéa 5, la mention finale selon laquelle «la mise en œuvre d’une obligation réelle environnementale ne peut en aucune manière remettre en cause ni les droits liés à l’exercice de la chasse, ni ceux relatifs aux réserves cynégétiques.»