A.- Le façonnage de l’outil
Les aspects les plus saillants du texte concernent ici la qualité des parties au contrat (1), l’existence de mentions obligatoires (2) et, enfin, sa soumission à des exigences de forme (3).
1.- Les parties au contrat
Le propriétaire. Les obligations réelles ne peuvent être consenties, selon les prévisions de l’article L. 132-3, alinéa 1er, que par «les propriétaires de biens immobiliers.» Dans la version originelle du texte, le champ d’application de la loi dans l’espace était limité aux zones naturelles, agricoles ou forestières dans lesquelles la préservation ou la restauration de la biodiversité paraissait primordiale. Cette restriction spatiale a cependant été abandonnée au cours des débats afin de faire en sorte que «l’obligation réelle environnementale [puisse] s’appliquer partout, dans un espace urbain, un jardin, à la campagne, en forêt.» On soulignera, par ailleurs, qu’il n’est absolument pas exigé que l’obligation s’étende sur l’intégralité du fonds. Elle peut dès lors avoir une assiette retreinte et ne porter, ainsi que cela a été évoqué lors de l’élaboration du texte, que «sur un morceau de jardin.»
Il a été justement observé que la loi ne vise que «les propriétaires», ne se préoccupant ainsi que du seul modèle de la pleine propriété individuelle. Il faut alors bien évidemment adapter cette disposition, d’une part, aux hypothèses de propriété collective, et, d’autre part, à celle des démembrements de propriété. Eu égard à la gravité des conséquences résultant de la mise en place d’une obligation réelle environnementale, il ne fait guère de doute que la passation d’un tel contrat relève de la catégorie des actes de disposition, à l’instar de la constitution de droits réels principaux ou accessoires. Usufruitier et nu-propriétaire doivent donc tous deux donner leur consentement, de même qu’il est impératif de réunir le consentement de toutes les parties à l’exercice d’une propriété collective.
Les créanciers. Aux termes de l’article L. 132-3, alinéa 1er, le contrat donnant naissance à l’obligation réelle peut être conclu «avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement.» En cette matière, le législateur français a retenu une voie médiane. À une extrémité du spectre des diverses solutions envisageables, certains systèmes juridiques ne permettent la conclusion de tels contrats qu’avec des collectivités publiques. À l’autre extrémité, certains Etats admettent de façon très libérale que le contrat puisse être conclu avec des personnes morales publiques comme privées, y compris dans ce dernier cas des acteurs agissant à but lucratif. Un amendement parlementaire visait à cet égard à élargir la contractualisation à l’ensemble des personnes morales de droit privé au motif que la limitation aux seules personnes morales de droit privé agissant pour la protection de l’environnement conduirait à devoir se priver de l’expertise et du savoir-faire d’un certain nombre d’entreprises en matière de gestion de la biodiversité. Cet élargissement du cercle des contractants potentiels a été vivement rejeté afin de prévenir le risque d’une instrumentalisation ou d’un dévoiement des obligations réelles environnementales.
La détermination ainsi opérée par le législateur a été doublement critiquée. Il lui a, tout d’abord, été reproché de ne pas avoir exigé suffisamment de garanties de la part des personnes morales de droit privé. Il est vrai que la plupart des systèmes étrangers admettant l’intervention de groupements de nature associative subordonnent à la détention d’un agrément la faculté de conclure des contrats emportant constitution d’obligations réelles. Le grief a, par ailleurs, également été soulevé d’un caractère trop restrictif de l’énumération légale qui exclurait les maîtres d’ouvrage débiteurs d’une obligation de compensation. Une telle interprétation ne parait pas conforme à la volonté des rédacteurs du texte qui ont, à l’occasion des débats parlementaires, explicitement souligné que la notion de personne morale de droit privé agissant pour l’environnement ne se cantonne pas aux seules associations mais concerne également les opérateurs de compensation et les aménageurs.
2.- Les mentions obligatoires
L’article L. 132-3, alinéa 3, énonce les mentions obligatoires devant figurer dans le contrat qui donne naissance à l’obligation réelle environnementale : il s’agit de la durée des obligations (a), des engagements réciproques (b) et, enfin des possibilités de révision et de résiliation (c).
a) La durée. L’article L. 132-3, alinéa 3, qui énonce les éléments devant figurer dans le contrat, vise au premier rang d’entre elles «la durée des obligations.» Le texte n’imposant lui-même aucune durée particulière, s’est naturellement posée la question de la latitude ici conférée aux parties. Selon une opinion, l’absence de toute limite temporelle dans la lettre de la loi devrait être interprétée comme permettant de «grever le bien par contrat d’une obligation réelle qui peut être perpétuelle.» Une telle analyse ne saurait être retenue. L’absence d’indication de durée dans le texte ne doit pas, en effet, être comprise comme permettant de retenir un engagement perpétuel mais procède des tribulations connues par la rédaction du texte lors de son cheminement parlementaire. La version originelle du projet de loi ne contenait, en effet, aucune mention de durée. Mais, à la suite d’un amendement sénatorial, visant à mettre le texte «en cohérence avec le principe de prohibition des engagements perpétuels», la lettre du projet été modifiée pour plafonner la durée des obligations réelles à 99 ans. Cette précision a cependant finalement été retirée du texte définitif par le législateur sous l’influence de deux facteurs.
La première de ces causes tient aux réactions d’incompréhension suscitées dans l’opinion publique par la mention d’une durée 99 ans. Pour reprendre les termes du rapporteur au Sénat, «en inscrivant cette limite dans le projet de loi, nous nous sommes pour ainsi dire tiré une balle dans le pied. Tout de suite, en effet, les gens ont cru qu’ils seraient obligés de s’engager pour une durée de 99 ans.» Afin de dissiper tout ambigüité sur le fait qu’on «ne contracte pas une obligation pour 99 ans mais pour une période comprise entre un jour et 99 ans», il était donc préférable de faire disparaitre du texte toute indication de durée et de laisser s’appliquer, dans le silence de la loi, le droit commun des contrats tel que formulé au sein de l’article 1210 du Code civil.
Le second facteur ayant grandement contribué à la disparition de toute mention explicite de durée tient à l’irréconciliable divergence d’analyse entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur la source de l’obligation réelle. Pour la chambre haute, cette obligation est, par nature, le fruit d’un contrat et il était donc légitime de rappeler à cet égard les règles du régime de droit commun des conventions. En revanche, pour l’Assemblée nationale et notamment la rapporteure du projet, les obligations réelles «ne sont pas forcément contractuelles» et peuvent «résulter d’un engagement volontaire individuel non contractuel.» Dès lors, les règles ordinaires du droit des contrats, et notamment celles relatives à la durée des conventions, non seulement n’auraient pas à figurer dans la loi mais encore seraient «contreproductives» car affaiblissant un dispositif adapté à la reconquête de la biodiversité.
Même si la position ainsi défendue a triomphé et a conduit à supprimer toute mention légale de durée, sa pertinence est des plus discutables pour au moins trois raisons. En premier lieu, il faut rappeler que les qualifications juridiques employées certains parlementaires se sont révélées parfois plus qu’hasardeuses. Ayant eux-mêmes peiné à identifier la nature juridique de leur création, les promoteurs du texte n’étaient peut-être pas les plus à même de déterminer le régime qui lui était le plus approprié. En second lieu, la position défendue par certains députés voyant dans la soumission au régime des contrats un facteur d’affaiblissement du dispositif s’écarte radicalement de la vue partagée ici par le Sénat et le gouvernement. En effet, ce dernier s’est notamment fermement opposé à plusieurs amendements qui visaient à plafonner à 30 ans la durée de l’obligation réelle au motif tantôt qu’une telle limite correspondrait tantôt à une vie d’exploitation, tantôt à un terme raisonnable permettant de réévaluer le contexte environnemental. Afin de rejeter ces propositions, le gouvernement a constamment fait valoir, d’une part, que l’adoption de tels amendements amoindrirait considérablement la portée du dispositif et, d’autre part, que dès lors qu’il s’agit d’un contrat devant être adapté à la réalité du terrain, il ne fallait «pas trop encadrer sa durée : dans certains cas, elle devra être d’un an, dans d’autres, elle devra être beaucoup plus longue.». Ce sont d’ailleurs, les mêmes arguments qui ont fondé le refus du gouvernement de voir établie dans la loi une durée minimale de l’obligation. Le parti ayant été pris de laisser «aux contractants la liberté de fixer ensemble la durée du contrat», cette liberté ne peut s’exercer que dans les bornes du droit commun. Enfin, et en troisième lieu, il faut revenir au texte voté par l’Assemblée nationale elle-même et qui s’ouvre par la mention selon laquelle «les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat…». Dès lors qu’un instrument qualifié explicitement par ses promoteurs «d’outil foncier contractuel» va donner naissance à des obligations qui, comme on l’a justement souligné, peuvent être des obligations de faire, la perpétuité doit être logiquement exclue et le droit commun de l’article 1210 reprendre son empire.
b) Les engagements réciproques. La version originelle du projet de loi n’exigeait pas que les engagements réciproques des parties figurent impérativement dans le contrat. Cette mention est le fruit d’un amendement présenté devant le Sénat, ce dernier ayant défendu durant tout le processus parlementaire qu’en matière de création d’une obligation réelle environnementale, «le principe est celui du contrat.» Or, dans un contrat, «l’effort consenti par l’une des parties suppose une contrepartie de la part de l’autre. Sinon, il s’agit plutôt d’une libéralité.» Souhaitant dérouler pleinement la pelote de la logique contractuelle, le Sénat avait d’ailleurs également introduit dans le texte un alinéa indiquant que «l’obligation réelle cesse de plein droit lorsque la contrepartie prévue au contrat ayant fait naître l’obligation réelle cesse.» En faisant abstraction de ce qu’un parlementaire a qualifié de «lyrisme absolu» de la rédaction de cet amendement, cette adjonction traduisait la volonté de «ne pas oublier que les obligations réelles environnementales sont des contrats passés entre les deux parties. Le contrat doit donc être équilibré et procurer les mêmes droits et engagements. Par cet amendement, nous proposons que, si une partie ne respecte pas ses engagements, l’obligation réelle prenne automatiquement fin.»
Une telle vision avait été contestée par la minorité sénatoriale qui faisait valoir deux arguments. D’une part, la notion de contrepartie n’était pas définie dans les alinéas précédents qui se bornaient à viser de manière générale la notion «d’engagements réciproques». D’autre part et surtout, la référence à l’idée de contrepartie s’avérait en décalage avec une vision du dispositif des obligations réelles environnementales conçu comme reposant «d’emblée sur une forte volonté d’engagement unilatéral de la part de celui qui consent une telle obligation.» Cette conception d’un régime détaché du cadre contractuel a, comme on l’a évoqué précédemment, animé la majorité à l’Assemblée et a conduit à la suppression de cette mention. Partant du postulat selon lequel les obligations réelles environnementales «ne sont pas forcément des contrats», elle a considéré qu’«il n’y a donc aucun intérêt à préciser que l’obligation réelle cesse de plein droit lorsque la contrepartie prévue au contrat ayant fait naître l’obligation réelle cesse.»
On ne peut que reprendre, ici encore, le constat effectué à l’occasion de l’examen de la durée de l’obligation. Même si l’Assemblée n’a eu de cesse de se faire le chantre de l’engagement unilatéral philanthropique, le texte qui a été voté ne correspond absolument pas à cette vision. Effacer d’un trait de plume toutes les tentatives de donner à la nouvelle institution un caractère contractuel trop marqué ne fait en rien disparaitre le fait, d’une part, qu’elle tire son existence d’un contrat, ainsi que le précise explicitement le texte voté par l’Assemblée et, d’autre part, que ce même texte approuvé par l’Assemblée impose la mention, et donc l’existence, «d’engagements réciproques» constitutifs d’un contrat synallagmatique. Comme cela a été souligné, il découle de cette rédaction que «le contrat d’obligation réelle est forcément un acte à titre onéreux, le bénéficiaire de l’obligation promettant de fournir une prestation […]. Il ne peut exister d’obligation réelle environnementale purement gratuite.» Dans l’esprit du législateur, cette contrepartie peut notamment consister dans l’exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties que les communes peuvent, depuis le 1er janvier 2017 et sur délibération du conseil municipal, accorder aux propriétaires ayant conclu une obligation réelle environnementale. Pour reprendre l’exemple donné par l’un des rapporteurs du texte, on peut envisager qu’une commune contracte avec un propriétaire foncier une obligation réelle environnementale prévoyant la plantation par celui-ci d’une haie sur un kilomètre pour restaurer un paysage bocager. En contrepartie, la commune exonérera ce propriétaire de taxe foncière sur la propriété non bâtie pour une durée qui sera déterminée librement entre les parties.
Cette exonération fiscale, qui peut jouer le rôle de contrepartie lorsque le contrat est conclu avec la collectivité locale, a plus généralement comme finalité d’encourager les propriétaires fonciers à s’engager dans le processus des obligations réelles environnementales. Au cours des débats parlementaires, s’est naturellement posée la question de savoir si le législateur devait aller plus loin dans la promotion du dispositif nouveau au travers des incitations fiscales. Selon ses promoteurs, de telles mesures fiscales, allant au-delà de l’exonération de taxe foncière qui constitue une mesure «relativement symbolique», permettraient de rendre plus attractive la création d’obligations réelles, notamment au travers d’une exonération fiscale des dépenses de maintien, de conservation, de gestion ou de restauration, d’éléments de la biodiversité. Le parallèle a ainsi été établi avec les crédits d’impôts dans le domaine de l’énergie ou encore avec les dispositifs fiscaux s’appliquant déjà dans certains espaces naturels protégés comme les parcs nationaux ou les sites Natura 2000. Même si cette proposition a, dans l’ensemble, rencontré un écho plutôt favorable auprès des parlementaires, elle n’a pas été retenue au motif que, «si l’idée de concilier l’effort accompli par le souscripteur d’une obligation réelle avec une contrepartie fiscale est certainement bonne […], une telle disposition aurait davantage sa place dans une loi de finances […] et n’a pas été suffisamment préparée pour être adoptée dans le cadre de la présente loi.»
c) Les possibilités de révision et de résiliation. Sur ce point également, le texte a substantiellement évolué entre la version introduite par le gouvernement et celle adoptée par le parlement. La lettre du projet originel n’envisageait, au titre des mentions obligatoires, que la durée et «les possibilités de résiliation.» Le Sénat a jugé nécessaire de compléter le texte en imposant que figurent également les possibilités de «révision» du contrat. Une fois n’étant pas coutume, cette adjonction a trouvé grâce aux yeux de l’Assemblée. Elle est en effet conforme à l’affichage d’une «volonté affirmée de pragmatisme» commandant de «garantir une grande souplesse dans l’élaboration des modalités de l’accord, au plus près des réalités écologiques, sociales et économiques.» L’intégration dans le contrat de modalités de révision des engagements réciproques permet donc d’anticiper d’éventuelles difficultés inhérentes aux fluctuations pouvant affecter le fonds et la biodiversité qu’il contient.
3.- La forme du contrat
Selon les prévisions de l’article L. 132-3, alinéa 4, le contrat faisant naître l’obligation réelle doit être «établi en la forme authentique.» La question a été soulevée de savoir si cette disposition avait une incidence sur la nature du contrat et si ce dernier était donc consensuel ou solennel. Il résulte des travaux parlementaires que le texte retenu in fine résulte d’un amendement visant à remplacer la passation du contrat par acte sous seing privé, telle qu’envisagée initialement par le projet de loi et soutenue par l’Assemblée, par un acte authentique considéré par les promoteurs de cet amendement sénatorial comme «le seul moyen fiable de garantir l’inscription de l’obligation réelle au fichier immobilier.» C’est donc manifestement dans un pur objectif de publicité foncière que le recours à l’acte authentique a été imposé. Dès lors, il semble justifié d’affirmer que, conformément au principe posé par l’article 1173 du Code civil disposant que «les formes exigées aux fins […] d’opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats», le contrat donnant naissance à l’obligation réelle demeure consensuel. Afin que l’obligation de conclure le contrat sous la forme authentique ne s’avère pas être une entrave au développement de ce type d’instrument, le Sénat a obtenu que le texte prévoit que le contrat «n’est pas passible de droits d’enregistrement et ne donne pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière prévus respectivement aux articles 662 et 663 du Code général des impôts.»