La loi 3DS et l’immobilier

par Olivier BEDDELEEM - Chargé de cours, EDHEC Business School
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immobilier - loi 3DSCe sera, après la loi ELAN, la deuxième grande loi immobilière du quinquennat. Le 9 février, le Parlement adoptait la loi 3DS (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale), publiée le 21 février 2022. De nombreuses dispositions de cette loi concernent directement les acteurs de l’immobilier. C’est également une loi qui a fait la part belle à la concertation, avec 2 000 élus locaux consultés, plus de 80 propositions initiales, plus de 20 ministères impliqués. Au final, 270 articles qui conduiront à des changements importants de la vie immobilière. 

La loi 3DS poursuit cet objectif par trois moyens principaux. Premièrement, elle renforce le rôle des collectivités locales. Deuxièmement, elle modifie les règles de construction et d’urbanisme. Troisièmement, elle adapte des règles liées à la location et à la copropriété. 

Article paru dans les Annales des Loyers N° 03 de mars 2022


I.- Les évolutions des pouvoirs des collectivités

Comme le déclare le document d’explication diffusé par le gouvernement, l’un des objectifs de la loi est de «donner aux collectivités la souplesse nécessaire pour adapter leur action aux particularités et attentes du territoire». La loi 3DS vise également à «faire confiance aux élus locaux pour relever, dans la proximité, les grands défis du pays» et ambitionne de «faciliter l’action publique locale» et de «rapprocher l’Etat du terrain, en soutien des collectivités». On se souvient des critiques du début du quinquennat sur la place peu importante réservées aux collectivités locales au profit d’une omniprésence de l’action nationale. La loi 3DS transfère de nombreuses compétences aux collectivités locales et une souplesse dans l’organisation des pouvoirs locaux. 

Les régions et départements peuvent proposer des évolutions législatives, déléguer des compétences. Ils pourront obtenir de nouveaux pouvoirs réglementaires et les outils de démocratie participative sont renforcés. Les communes pourront déléguer des compétences aux intercommunalités. Elles pourront également transférer leur compétence en matière d’eau et d’assainissement. Inversement, les intercommunalités pourront déléguer des compétences aux communes. On peut citer pêle-mêle en dehors de l’immobilier la possibilité de transmission de routes nationales ou de voies ferrées aux collectivités, la dénomination des routes par les conseils municipaux, le renforcement du rôle des collectivités locales dans les politiques de santé, la possibilité de prise en charge du RSA par l’Etat, la facilitation de la création de cinémas. 

L’article 92 prévoit que les intercommunalités pourront être reconnues autorité organisatrice de l’habitat (OAH), participer à la révision des zonages fiscaux et contractualiser avec les bailleurs le contenu de leur stratégie patrimoniale locale.

Comme le prévoit l’article 57 de la loi 3DS, l’ADEME peut devoir déléguer à la région la gestion d’une partie des subventions et concours financiers en matière de transition énergétique et d’économie circulaire.

Des collectivités locales spécifiques bénéficient également dune réglementation telle que la Corse pour laquelle l’article 4 de la loi 3DS prévoit que «dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le phénomène de spéculation foncière et de spéculation immobilière en Corse et sur les moyens de différenciation disponibles pour y faire face, notamment en permettant à la collectivité de Corse d’instaurer, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, un droit de préemption sur les transferts de propriétés bâties ou non bâties sur le territoire de la collectivité de Corse». C’est également le cas en Guyane et à Mayotte où la construction de logements et d’équipements sera facilitée par la simplification des procédures d’aménagement, le renforcement de l’accompagnement des collectivités par les établissements publics de l’État, la mobilisation du foncier par les collectivités et l’État. 


II.- Les règles d’urbanisme et de construction

A- Les règles visant à faciliter la construction

De nombreuses règles d’urbanisme et de construction sont modifiées par la loi 3DS. On voit ainsi apparaître de nouvelles règles liées à l’alignement des arbres, l’implantation des éoliennes, ou le développement des énergies renouvelables. 

La loi 3DS pérennise la loi SRU au-delà de 2025. Elle maintient les obligations de taux minimal de logements sociaux par commune. L’article 65 de la loi 3DS modifie l’article L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation en adaptant les dérogations à l’obligation SRU. L’article 66 adapte et renforce selon l’article L. 302-8, VII du Code de la construction et de l’habitation, les obligations triennales des communes qui ne remplissent pas l’objectif. Il crée un régime particulier pour les communes nouvellement soumises à l’obligation SRU et libère les possibilités de coopération intercommunale pour atteindre ces objectifs. 

La loi nouvelle met en place des contrats de mixité sociale déconcentrés signés entre le maire, le président de l’intercommunalité et le préfet. Ces contrats permettront d’adapter les objectifs triennaux de production de logements sociaux en fonction des contraintes locales. L’article 69 crée un nouvel article L. 302-8-1 du Code de la construction et de l’habitation. Le contrat de mixité sociale doit déterminer notamment, pour chacune des périodes triennales qu’il couvre et pour chacune des communes signataires, les objectifs de réalisation de logements locatifs sociaux à atteindre ainsi que les engagements pris, notamment en matière d’action foncière, d’urbanisme, de programmation et de financement des logements et d’attributions de logements locatifs aux publics prioritaires. Le contrat de mixité sociale vise à faciliter la réalisation d’objectifs de répartition équilibrée des logements locatifs sociaux pour chaque commune.

Aux termes des articles 98 et 99 de la loi 3DS, les collectivités pourront plus facilement récupérer les biens sans maîtres et abandonnés afin de conduire leurs projets d’aménagement et de rénovation du bâti. 

La loi 3DS renforce également les opérations de revitalisation des territoires. Ces dispositions permettront de faciliter la transformation des périphéries mais aussi de structurer et soutenir l’offre commerciale face aux défis de la vacance et de la numérisation du commerce. L’article 110 de la loi 3DS permet de déléguer le droit de préemption urbain. 

Plusieurs règles d’urbanisme sont modifiées. Le nouvel l’article L. 152-4 du Code de l’urbanisme prévoit la possibilité, dans le périmètre des secteurs d’intervention des opérations de revitalisation de territoire, de déroger au plan local d’urbanisme pour contribuer à la revitalisation du territoire, faciliter le recyclage et la transformation des zones déjà urbanisées et lutter contre la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Les dérogations peuvent notamment porter sur les distances minimales par rapport aux limites séparatives, aux règles de densité ou aux obligations en matière de stationnement. L’article 97 de la loi 3DS permet, à titre expérimental pour une durée de six ans à des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans les territoires ayant signé une convention d’opération de revitalisation de territoire, de soumettre la procédure de délivrance de l’autorisation d’exploitation commerciale à une procédure simplifiée. 

L’article 11 permet aux collectivités locales d’agir sur le SCOT (Schéma de cohérence territoriale) en cas de déséquilibre du tissu commercial de proximité. 

 

B.- La facilitation d’opérations immobilières

L’article 159 fournit un nouveau statut au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), centre de ressources et d’expertise scientifiques et techniques interdisciplinaires apportant son concours à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques en matière d’aménagement durable, d’urbanisme, de transition écologique et de cohésion des territoires, notamment dans les domaines des mobilités, des transports et de leurs infrastructures, du bâtiment, de la prévention des risques naturels, de la sécurité routière et maritime, de la mer et du littoral. 

L’article 203 autorise la Monnaie de Paris à valoriser le patrimoine immobilier dont il est propriétaire et, à ce titre, de réaliser notamment des opérations immobilières ou des activités d’investissement immobilier. De même, l’article 204 prévoit qu’ÎledeFrance Mobilités peut, le cas échéant par l’intermédiaire de filiales ou d’opérateurs fonciers, valoriser le patrimoine immobilier dont il est propriétaire, notamment par le biais d’opérations immobilières ou d’activités d’investissement immobilier. 

La loi conforte le modèle des résidences de tourisme dans les stations de montagne. Il s’agit de lutter contre ces logements inoccupés onze mois dans l’année qui remettent en cause le modèle économique des stations. Comme le prévoit l’article 115 de la loi 3DS, des foncières locales portées par les collectivités seront prioritaires pour l’achat de logements en vue de poursuivre leur location. 

L’article 139 de la loi 3DS facilite, jusqu’au 31 décembre 2025, sous réserve de la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, les projets de création, de transformation ou d’extension des résidences autonomie. Celles-ci sont dispensés de la procédure d’appel à projets. 

L’article 191 modifie les règles de préemption de surfaces agricoles liées à la préservation des ressources en eau. Il modifie notamment l’article L. 218-13 du Code de l’urbanisme en prévoyant que si l’organisme préempteur les donnent à bail ou les cèdent de gré à gré, le contrat doit comporter des obligations environnementales. 


III.- Les évolutions relatives à la vente, la location et la copropriété

A.- La location

Le dispositif d’encadrement des loyers mis en place par la loi ALUR sera prolongé et pourra même être élargi à de nouveaux territoires. L’article 85, modifiant l’article 140 de la loi ELAN, donne compétence à la commission départementale de conciliation pour examiner les actions en diminution de loyer dans les cas où un bailleur ne respecte pas l’encadrement des loyers prévu dans sa commune. Il ajoute un nouvel article au terme duquel «en cas de colocation du logement définie à l’article 81 de la loi n° 89462 du 6 juillet 1989 précitée, le montant de la somme des loyers perçus de l’ensemble des colocataires ne peut être supérieur au montant du loyer applicable au logement en application du présent article». La loi ELAN a donné le pouvoir au représentant de l’Etat dans le département de mettre en demeure un bailleur de se conformer au dispositif d’encadrement des loyers. La loi 3DS modifie l’article 140-VII de la loi ELAN pour lui permettre de déléguer ce pouvoir notamment aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’habitat. 

Après les abus constatés dans les secteurs soumis à l’encadrement des loyers (l’observatoire des loyers de la fondation Abbé Pierre relayait dans la presse le fait que 35 % des annonces à Paris dépassaient les plafonds) , la loi 3DS modifie l’article 2-1 de la loi de 1989 et prévoit que «les annonces relatives à la mise en location d’un logement soumis à la présente loi mentionnent des informations relatives au bien concerné et aux conditions tarifaires de cette mise en location et, dans les territoires où s’applique l’arrêté mentionné au I de l’article 140 de la loi n° 20181021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, à l’encadrement des loyers. La liste de ces informations est fixée par arrêté du ministre chargé du logement pour les annonces émises par les non professionnels». 

L’article 140 permet aux gestionnaires de résidences universitaires qui ne sont pas totalement occupées après le 31 décembre de chaque année de les louer les locaux inoccupés pour des séjours d’une durée inférieure à trois mois s’achevant au plus tard le 1er octobre de l’année suivante, particulièrement à des publics reconnus prioritaires par l’État.

Après l’expérimentation des dernières grandes lois sur le logement, le législateur confirme la pertinence des offices fonciers solidaires. L’article 106 de la loi 3DS étend leur champ d’application et adapte leur statut, notamment à l’article L. 329-1 du Code de l’urbanisme. Ce même article 106 permet au gouvernement d’adopter une ordonnance dans un délai d’un an permettant aux organismes de foncier solidaire, dans le cadre d’un bail de longue durée, de consentir à un preneur, en contrepartie d’une redevance et avec des plafonds de prix de cession et, le cas échéant, de loyers, des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété de locaux d’activités dans le cadre de l’exercice de leur objet à titre subsidiaire. 

 

B.- Les HLM  

La loi 3DS permet aux collectivités de fixer des objectifs d’attribution de logements sociaux aux ménages aux revenus modestes dont les métiers ne peuvent être exercés en télétravail. 

La protection des personnes en situation de handicap sera renforcée. Une personne peut saisir sans condition de délai la commission de médiation HLM lorsque le demandeur ou une personne à sa charge est logé dans un logement non adapté à son handicap. La loi leur permet en effet de saisir la commission de droit au logement opposable (DALO). 

L’article 87 prévoit que les loyers des logements HLM (art. L. 442-1 du CCH) et des logements conventionnés (art. L. 353-9-3 du CCH) sont révisés non plus «en fonction» mais «dans la limite» de la variation de l’indice de référence des loyers. 

L’article 88 ajoute à l’article L. 442-8-1 du Code de la construction et de l’habitation, une nouvelle option pour les organismes HLM. Par dérogation à l’article L. 442-8, les organismes mentionnés à l’article L. 411-2 peuvent louer, meublés ou non, des logements «éventuellement en vue d’une souslocation dans le cadre d’une colocation définie au I de l’article 81 de la loi n° 89462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 861290 du 23 décembre 1986». 

 

C- La copropriété

L’application de la loi ELAN à la mise à jour des règlements de copropriété a fait couler beaucoup d’encre et entraîné de réelles craintes chez les professionnels de l’administration de biens. L’article 206 de la loi ELAN prévoyait en effet que les copropriétés devaient mettre à jour leur règlement de copropriété dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi s’agissant des lots transitoires, des parties communes à usage privatifs et des parties communes spéciales. Les syndics de copropriété devaient quant à eux mettre à l’ordre du jour annuellement pendant ces trois ans la question de cette mise à jour. 

Le flou qui entourait ces obligations, clarifiées en partie par le GRECCO en 2021, et en raison de l’épidémie de COVID, ont conduit à des retards dans cette mise à jour. C’est d’autant plus vrai que la mise à jour des règlements de copropriété nécessiterait dans un premier temps de réaliser un audit des règlements, une collecte importante d’informations sur les procès-verbaux d’assemblée générale voire les actes de vente des lots, puis éventuellement le vote de résolutions à différentes majorités, avant de pouvoir éventuellement proposer une mise à jour. La loi ELAN n’ayant pas prévu les conséquences de l’inobservation de l’obligation de mise à jour, les juristes étaient divisés sur une éventuelle perte des droits du titulaire. La question se posait également, après le 23 novembre 2021, de la subsistance d’une obligation du syndic de porter à l’ordre du jour la question de la mise à jour du règlement de copropriété. 

La plupart de ces questions sont résolues par l’article 89 de la loi 3DS qui modifie l’article 206 de la loi ELAN. 

Premièrement, la loi réglemente la situation dans laquelle la mise en copropriété est postérieure au 1er juillet 2022. Selon ce nouvel article, «les dispositions relatives au lot transitoire de l’article 1er de la loi n° 65557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ne sont applicables qu’aux immeubles dont la mise en copropriété est postérieure au 1er juillet 2022». De même, «l’article 64 de la loi n° 65557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis n’est applicable qu’aux immeubles dont la mise en copropriété est postérieure au 1er juillet 2022».

Si la mise en copropriété est antérieure au 1er juillet 2022, «quand le règlement de copropriété ne mentionne pas la consistance des lots transitoires existants, le syndicat des copropriétaires inscrit à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires la question de cette mention dans le règlement de copropriété. Cette décision est prise à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présentés, représentés ou ayant voté par correspondance». De même, «quand le règlement de copropriété ne mentionne pas les parties communes spéciales ou à jouissance privative existantes, le syndicat des copropriétaires inscrit à l’ordre du jour de chaque assemblée générale des copropriétaires la question de cette mention dans le règlement de copropriété. Cette décision est prise à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présentés, représentés ou ayant voté par correspondance». 

La loi 3DS s’intéresse également aux sanctions de l’absence de mise à jour pour ces règlements. Pour le législateur, «l’absence de mention de la consistance du lot transitoire dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ce lot» et s’agissant des parties communes spéciales ou à jouissance privative existantes, «l’absence d’une telle mention dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ces parties communes».


IV.- Les ordonnances

Comme à son habitude sous ce quinquennat, le gouvernement est autorisé à adopter un certain nombre d’ordonnances. On en citera deux qui intéressent particulièrement les acteurs de l’immobilier. 

L’article 198 autorise le gouvernement à adopter par ordonnance dans un délai de dix-huit mois une ordonnance destinée notamment à améliorer la lisibilité du droit de la publicité foncière, moderniser le régime de la publicité foncière et renforcer son efficacité et à moderniser et clarifier le régime de l’inscription des privilèges immobiliers et des hypothèques. 

L’article 161 autorise le gouvernement à adopter par ordonnance dans un délai d’un an une législation afin d’améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti et sur les conditions matérielles d’existence des assurés des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols. 

 

Comme on peut le voir, les modifications sont nombreuses. Elles devront maintenant s’accompagner de plusieurs dizaines de décrets d’application qu’il faudra également examiner pour mener et sécuriser au mieux les opérations immobilières.