Bail commercial : Application dans le temps du décret Pinel sur les charges - II.- La détermination de la date du renouvellement du bail pour l’application des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges

par Bastien BRIGNON, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Avocat au barreau d’Aix-en-Provence
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II.- La détermination de la date du renouvellement du bail pour l’application des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges

 

  1. A quelle date fallait-il considérer que le décret Pinel sur les charges était entré en vigueur, ou plutôt, à quelle date fallait-il considérer le contrat comme soumis auxdites dispositions : faut-il se placer à la date de conclusion du contrat ou à sa date de renouvellement, et à quelle date un bail commercial renouvelé peut-il être effectivement considéré comme renouvelé ?

 

  1. Certains auteurs considèrent que le bail n’est renouvelé, quelle que soit la date d’effet du congé ou de la demande de renouvellement, que lorsque son loyer en est fixé. Telle était la thèse défendue par la société locataire. En l’espèce, le congé avec offre de renouvellement avait été délivré pour le 1er avril 2014, c’est-à-dire à une date antérieure à l’entrée en vigueur tant de la loi Pinel que de son décret d’application, mais à ces deux dates le loyer n’avait pas encore été fixé. Le preneur soutenait que le bail ne pouvait être tenu pour renouvelé faute de loyer déterminé. D’autres auteurs soutiennent encore qu’il ne faut pas prendre en compte la date d’effet du contrat conclu ou renouvelé, mais la date de la rencontre des consentements : «un renouvellement amiable signé postérieurement au 4 novembre 2014 devrait donc être soumis au décret, même si sa date de prise d’effet est antérieure à ce décret» (en ce sens J.-D. Barbier, Administrer déc. 2014, p. 14 ; du même auteur : Gaz. Pal., 9 août 2014, n° 189k6, p. 47 ; v. égal. Gaz. Pal., 14 avril 2015, n° 221q3, p. 6 et Gaz. Pal. 18 août 2015, n° 237m2, p. 3).

 

  1. A l’inverse, un autre auteur soutient que seule doit être prise en compte la date de prise d'effet du renouvellement, et non celle de la date de la signature de l’acte de renouvellement ou de l'accord sur le prix. Il est vrai que la loi fixe la date d’effet du renouvellement à l’expiration du bail précédent (art. L. 145-12 C. com.), qu’un bail se renouvelle même en l’absence d’accord sur le prix (Cass. 3e civ., 9 nov. 1981, n° 80-12909, Bull. civ. III, n° 180 ; Cass. 3e civ., 15 mai 1996, n° 94-16407, Bull. civ. III, n° 113, AJPI 1996, p. 1014, obs. J.-P. Blatter ; Cass. 3e civ., 2 févr. 2000, n° 98-12.638) et qu’il n’est pas nécessaire de signer un nouveau bail pour qu’il existe (art. L. 145-57 C. com. J.-P. Blatter, De quelques idées originales ou non relatives à l'application dans le temps de la loi du 18 juin 2014, AJDI, 2014, p. 741 ; J.-P. Blatter, La loi Pinel et le statut des baux commerciaux, AJDI, 2014, p. 576. En ce sens également : H. Chaoui et M.-O. Vaissié, Rev. loyers, 2015/953, n° 1958).

 

  1. L’arrêt du 17 juin 2021 retient cette dernière position, majoritaire, et écarte très clairement la date de signature du contrat (ou d’échange des consentements), jugeant qu’«un contrat est renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé»: le bail n’est pas renouvelé à une autre date que celle de la date d’effet du congé, de celle de la demande de renouvellement, de la date de notification du repentir ou encore de la date sur laquelle les parties se mettront d’accord, laquelle est celle qui figurera dans l’acte de renouvellement et non à la date à laquelle elles auront échangé leur consentement (même si cette date peut être établie) ou leur signature.

 

  1. En ce sens, les juges du fond avaient bien précisé que «les dispositions de l'article R. 145-35 du Code de commerce ne s'appliquent pas à la date de signature du bail renouvelé ou à la date de fixation définitive du loyer […], mais à la date de la prise d'effet du contrat renouvelé, en ce compris la date de prise d'effet du loyer du bail renouvelé». La Cour de cassation, au diapason des juges d’appel, retient, en présence d’un renouvellement par l’effet d’un congé, la date d’effet du bail renouvelé. En l’espèce, le bail ayant été renouvelé par l’effet du congé du bailleur à effet au 1er avril 2014, soit antérieurement au 5 novembre 2014, les dispositions des articles L. 145-40-2 et R. 145-35 du Code de commerce n’étaient pas applicables au bail. Les clauses litigieuses ne pouvaient donc pas être réputées non écrites.

 

  1. Cette solution, qui s’inscrit dans la continuité des règles légales et jurisprudentielles évoquées plus haut, revêt une grande portée pratique compte tenu de la sanction attachée au non-respect des dispositions issues de la loi Pinel. En effet et dorénavant, les clauses contraires au statut sont réputées non écrites. La portée est d’autant plus grande que l’action tendant à la suppression de la clause est imprescriptible et les baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture de l’article L. 145-15 sont potentiellement concernés par ces sanctions et actions (Cass. 3e civ., 19 nov. 2020, n° 19-20.405 : A. Divo et A. Reygrobellet, Lefebvre, 23 nov. 2020, Lettre d’actualité déc. 2020 J.-P. Blatter, Loyers et copropriété janv. 2021, comm. 10, note E. Marcet, Ann. Loyers 2020-12, p. 65, note B. Brignon. - CA Paris, ch. 5-3, 18 déc. 2020, RG n° 19/05910 : Ann. Loyers 2021-01/02, p. 69, note B. Brignon).

 

  1. Dans un arrêt essentiel du 30 juin 2021 (n° 19-23.038), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme, si besoin en était, que l’article L. 145-15 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, est applicable aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de cette loi et que l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n’est pas soumise à prescription.

 

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