Bail commercial : Application dans le temps du décret Pinel sur les charges

par Bastien BRIGNON, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Avocat au barreau d’Aix-en-Provence
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L’essentielbail commercial

Un contrat étant renouvelé à la date d'effet du bail renouvelé, les dispositions du statut des baux commerciaux relatives aux charges, issues de la loi Pinel et de son décret d'application, applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, ne sont pas applicables au bail dont la date de renouvellement par l'effet d'un congé avec offre de renouvellement est antérieure (le 1er avril en l’occurrence)

Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 20-12.844

 

  1. C’est une décision extrêmement importante que vient de rendre la Cour de cassation dans cet arrêt publié sur son site, destiné à être publié également au Bulletin des arrêts. Sept ans après l’adoption de la loi Pinel du 18 juin 2014 et de son décret d’application du 3 novembre 2014 sur les charges, travaux, impôts et taxes, la Cour de cassation précise, pour la première fois à notre connaissance, que les contrats concernés par le décret précité, publié le 5 novembre 2014 et entré en vigueur le même jour, sont ceux conclus ou renouvelés précisément à compter de cette date, de sorte que tous ceux conclus ou renouvelés antérieurement ne se trouvent pas soumis à ladite réglementation (Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 20-12.844 : J.-P. Blatter, Lettre d’actualité, juillet 2021 ; Lexbase hebdo édition affaires n° 682 du 1er juill. 2021, note J. Prigent ; BRDA 13/21, inf. n° 15 ; Dalloz actualité 2 juill. 2021, note S. Andjechaïri-Tribillac).

 

  1. En l’espèce, le propriétaire d’un local commercial fait signifier à son locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014. Le locataire accepte le principe du renouvellement mais conteste le montant du loyer proposé. Puis, il demande que certaines clauses du bail renouvelé soient déclarées non écrites car contraires aux dispositions issues de la loi Pinel sur la répartition des charges locatives (art. L. 145-40-2, R. 145-35 et R. 145-37, C. com.). Il soutient en effet que ces dispositions lui sont applicables ; la fixation du loyer du bail renouvelé et la signature de ce bail étant intervenues après l’entrée en vigueur de la loi Pinel. Son pourvoi est néanmoins rejeté : après avoir rappelé que l’article 8 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 prévoit que les articles R. 145-35 à R. 145-37 du Code de commerce résultant du même décret sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, la Cour de cassation juge qu’un contrat est renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé. Or, en l’occurrence, le bail ayant été renouvelé à compter du 1er avril 2014, les articles R. 145-35 à R. 145-37 précités n’étaient pas applicables et les clauses du bail litigieuses n’avaient pas à être déclarées non écrites en raison de leur contrariété à l’article L. 145-40-2 du Code de commerce.

 

  1. Au moins deux enseignements sont à tirer de cette solution : d’une part, l’application dans le temps des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges (I), d’autre part et surtout, la détermination de la date du renouvellement du bail pour l’application des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges (II).

I.- L’application dans le temps des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges

 

  1. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 dite loi Pinel et son décret d’application n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 dit décret Pinel ont fixé les droits et obligations des parties au bail commercial en matière de charges locatives. Ainsi, l’article L. 145-40-2 du Code de commerce, tel que modifié par cette loi, impose l’établissement d’un inventaire précis et limitatif des charges, impôts et taxes liés au bail et prévoit l’impossibilité de répercuter certaines charges sur le locataire en raison de leur nature. Les articles R. 145-35 à R. 145-37 du même code, dans leur rédaction issue du décret précité, précisent quant à eux les charges non imputables au locataire.

 

  1. L'article 21 de la loi Pinel dispose que «les articles 3, 9 et 11 de la présente loi ainsi que l'article L. 145-40-2 du Code de commerce, tel qu'il résulte de l'article 13 de la même loi, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de ladite loi». La loi Pinel a été promulguée le 18 juin 2014. Par conséquent, les dispositions de l’article L. 145-40-2 du Code de commerce sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014. A ce sujet, le dernier alinéa de l’article L. 145-40-2 du Code de commerce indique qu’«un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. Il précise les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire et les modalités d’information des preneurs». On l’a dit, la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au preneur résulte du décret du 3 novembre 2014. Or, précisément, selon l’article 8 de ce décret, les dispositions de l’article R. 145-35 du Code de commerce sont «applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du présent décret», à savoir le 5 novembre 2014. En conséquence, si l’article 21 de la loi du 18 juin 2014 prévoit que l’article L. 145-40-2 du Code de commerce est applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, l’entrée en vigueur des dispositions de ce texte, à tout le moins celles relatives aux charges ne pouvant être imputées au preneur, est mécaniquement reportée aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014.

 

  1. Il en résulte que, pour les baux conclus ou renouvelés entre le 1er septembre 2014 et le 4 novembre 2014, doivent, certes, comporter l’inventaire des charges et un état prévisionnel des travaux envisagés ainsi qu’un récapitulatif des travaux réalisés, puisque l’article L. 145 40-2 du Code de commerce posant ces obligations s’applique bien depuis le 1er septembre 2014, conformément à l’article 21 de la loi Pinel. En revanche, les interdictions de faire supporter par le locataire certains travaux, charges et taxes ne s’appliquent pas à ces baux, puisqu’elles résultent du décret du 3 novembre 2014, qui n’est entré en vigueur que le 5 novembre 2014, soit le jour de sa publication au JO (étant rappelé que selon l’article 1er du Code civil, les lois entrent en vigueur à la date qu’elles fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication). Dès lors, un bail prenant effet à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi Pinel ne sera soumis ni à cette loi, ni à son décret d’application ; cependant, un bail conclu postérieurement au 1er septembre 2014, date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, sera soumis à cette loi, mais ne sera soumis aux dispositions du décret qu’à compter du 5 novembre 2014 (J.-P. Blatter, AJDI 2019, p. 205 : Charges locatives et égalité devant la loi : irrecevabilité d’une QPC).

 

  1. Cela étant, dans l’affaire commentée, le débat portait essentiellement sur la détermination de la date du renouvellement, dans la mesure où plusieurs dates pouvaient être retenues.

II.- La détermination de la date du renouvellement du bail pour l’application des dispositions de la loi Pinel relatives aux charges

 

  1. A quelle date fallait-il considérer que le décret Pinel sur les charges était entré en vigueur, ou plutôt, à quelle date fallait-il considérer le contrat comme soumis auxdites dispositions : faut-il se placer à la date de conclusion du contrat ou à sa date de renouvellement, et à quelle date un bail commercial renouvelé peut-il être effectivement considéré comme renouvelé ?

 

  1. Certains auteurs considèrent que le bail n’est renouvelé, quelle que soit la date d’effet du congé ou de la demande de renouvellement, que lorsque son loyer en est fixé. Telle était la thèse défendue par la société locataire. En l’espèce, le congé avec offre de renouvellement avait été délivré pour le 1er avril 2014, c’est-à-dire à une date antérieure à l’entrée en vigueur tant de la loi Pinel que de son décret d’application, mais à ces deux dates le loyer n’avait pas encore été fixé. Le preneur soutenait que le bail ne pouvait être tenu pour renouvelé faute de loyer déterminé. D’autres auteurs soutiennent encore qu’il ne faut pas prendre en compte la date d’effet du contrat conclu ou renouvelé, mais la date de la rencontre des consentements : «un renouvellement amiable signé postérieurement au 4 novembre 2014 devrait donc être soumis au décret, même si sa date de prise d’effet est antérieure à ce décret» (en ce sens J.-D. Barbier, Administrer déc. 2014, p. 14 ; du même auteur : Gaz. Pal., 9 août 2014, n° 189k6, p. 47 ; v. égal. Gaz. Pal., 14 avril 2015, n° 221q3, p. 6 et Gaz. Pal. 18 août 2015, n° 237m2, p. 3).

 

  1. A l’inverse, un autre auteur soutient que seule doit être prise en compte la date de prise d'effet du renouvellement, et non celle de la date de la signature de l’acte de renouvellement ou de l'accord sur le prix. Il est vrai que la loi fixe la date d’effet du renouvellement à l’expiration du bail précédent (art. L. 145-12 C. com.), qu’un bail se renouvelle même en l’absence d’accord sur le prix (Cass. 3e civ., 9 nov. 1981, n° 80-12909, Bull. civ. III, n° 180 ; Cass. 3e civ., 15 mai 1996, n° 94-16407, Bull. civ. III, n° 113, AJPI 1996, p. 1014, obs. J.-P. Blatter ; Cass. 3e civ., 2 févr. 2000, n° 98-12.638) et qu’il n’est pas nécessaire de signer un nouveau bail pour qu’il existe (art. L. 145-57 C. com. J.-P. Blatter, De quelques idées originales ou non relatives à l'application dans le temps de la loi du 18 juin 2014, AJDI, 2014, p. 741 ; J.-P. Blatter, La loi Pinel et le statut des baux commerciaux, AJDI, 2014, p. 576. En ce sens également : H. Chaoui et M.-O. Vaissié, Rev. loyers, 2015/953, n° 1958).

 

  1. L’arrêt du 17 juin 2021 retient cette dernière position, majoritaire, et écarte très clairement la date de signature du contrat (ou d’échange des consentements), jugeant qu’«un contrat est renouvelé à la date d’effet du bail renouvelé»: le bail n’est pas renouvelé à une autre date que celle de la date d’effet du congé, de celle de la demande de renouvellement, de la date de notification du repentir ou encore de la date sur laquelle les parties se mettront d’accord, laquelle est celle qui figurera dans l’acte de renouvellement et non à la date à laquelle elles auront échangé leur consentement (même si cette date peut être établie) ou leur signature.

 

  1. En ce sens, les juges du fond avaient bien précisé que «les dispositions de l'article R. 145-35 du Code de commerce ne s'appliquent pas à la date de signature du bail renouvelé ou à la date de fixation définitive du loyer […], mais à la date de la prise d'effet du contrat renouvelé, en ce compris la date de prise d'effet du loyer du bail renouvelé». La Cour de cassation, au diapason des juges d’appel, retient, en présence d’un renouvellement par l’effet d’un congé, la date d’effet du bail renouvelé. En l’espèce, le bail ayant été renouvelé par l’effet du congé du bailleur à effet au 1er avril 2014, soit antérieurement au 5 novembre 2014, les dispositions des articles L. 145-40-2 et R. 145-35 du Code de commerce n’étaient pas applicables au bail. Les clauses litigieuses ne pouvaient donc pas être réputées non écrites.

 

  1. Cette solution, qui s’inscrit dans la continuité des règles légales et jurisprudentielles évoquées plus haut, revêt une grande portée pratique compte tenu de la sanction attachée au non-respect des dispositions issues de la loi Pinel. En effet et dorénavant, les clauses contraires au statut sont réputées non écrites. La portée est d’autant plus grande que l’action tendant à la suppression de la clause est imprescriptible et les baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture de l’article L. 145-15 sont potentiellement concernés par ces sanctions et actions (Cass. 3e civ., 19 nov. 2020, n° 19-20.405 : A. Divo et A. Reygrobellet, Lefebvre, 23 nov. 2020, Lettre d’actualité déc. 2020 J.-P. Blatter, Loyers et copropriété janv. 2021, comm. 10, note E. Marcet, Ann. Loyers 2020-12, p. 65, note B. Brignon. - CA Paris, ch. 5-3, 18 déc. 2020, RG n° 19/05910 : Ann. Loyers 2021-01/02, p. 69, note B. Brignon).

 

  1. Dans un arrêt essentiel du 30 juin 2021 (n° 19-23.038), la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme, si besoin en était, que l’article L. 145-15 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, est applicable aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de cette loi et que l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n’est pas soumise à prescription.

 

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