B.- L'évolution de la jurisprudence
1.- L’époque du «clos et du couvert»
Dans un premier temps, la jurisprudence s’est essentiellement attachée à définir le local, par référence aux caractéristiques physiques de la chose louée.
Ainsi, dans un arrêt maintenant ancien, la cour d’appel de Paris définissait le local comme un «lieu clos et couvert dans lequel s'effectue la vente» et une «construction permanente».
Toutefois, il a été jugé que la taille du local importait peu, et qu'une échoppe dont l'exiguïté ne permettait pas à la clientèle d'y pénétrer constituait néanmoins un local.
Encore faut-il, selon cette jurisprudence, qu’existe une construction abritant ou constituant le local.
La jurisprudence a donc refusé la qualification de local au sens de l’article L. 145-1 du Code de commerce pour :
- une aire de stationnement délimitée par de simples bandes de peinture au sol ou encore un emplacement non délimité et se situant à l’extérieur du bâtiment et uniquement destiné au stationnement de véhicules ;
- un mur utilisé pour l’affichage publicitaire ou du panneau publicitaire lui-même ou encore d’une surface d’exposition ou d’une vitrine ;
- des emplacements ou stands dans un supermarché.
La jurisprudence a, par ailleurs, dû se prononcer sur la précarité de certaines constructions.
Dans ces hypothèses, elle retient classiquement qu’une baraque de chantier ou des cabines mobiles et aisément transportables, ne sont pas des locaux au sens de l’article L. 145-1 et ne sont donc pas protégés par le statut.
L’appréciation du caractère fixe de l’installation relève ici du pouvoir souverain du juge du fond.
Il a ainsi pu être considéré qu’un baraquement situé sur un terrain destiné à l’exploitation d’un restaurant-buvette bénéficiait des dispositions du statut, au motif que «si un caractère de solidité et de fixité des constructions édifiées est exigé pour donner, au locataire d'un terrain nu, droit au bénéfice du statut des baux commerciaux, il n'en est pas de même lorsque le bâtiment, existant lors de la conclusion du bail, a constitué l'objet de ce dernier, et qu'il est destiné, d'un commun accord, à l'exploitation d'un fonds de commerce».
La jurisprudence opère donc une distinction pour donner la qualification de local à la construction litigieuse, selon qu’elle aura été édifiée sur un terrain nu, dans les conditions visées à l’article L. 145 I 2, plus strictement appréciées, ou de locaux existants lors de la prise à bail.
Le terrain nu doit donc faire l’objet d’une construction, solide et durable, pour permettre l’application du statut.
2.- La notion de local stable et permanent
La jurisprudence a, par la suite, affiné sa définition du local en privilégiant les critères de stabilité et de permanence à ceux de «clos et couvert».
C’est à l’occasion du contentieux relatif à une autre condition du statut, celle de l’existence d’un fonds de commerce autonome et pour l’appréciation de la situation des fonds dits «dépendants» (comme les emplacements situés dans des grands magasins, supermarchés ou centres commerciaux), que la jurisprudence a systématiquement exigé les critères de stabilité et de permanence, indépendamment de ceux de l’existence d’une clientèle propre et de l’autonomie de gestion du locataire.
L’examen de la jurisprudence révèle ainsi l’abandon progressif de l’exigence d’un local clos et couvert.
L’application du statut des baux commerciaux a, par exemple, été retenue pour une station de lavage pour automobiles équipée d'un ensemble d'ouvrages non aisément démontables présentant un caractère de solidité et de fixité et bénéficiant d’une clientèle propre.
Les critères de stabilité et de permanence ont, par la suite, été clairement affirmés dans un arrêt du 19 janvier 2005, par lequel la Cour de cassation a estimé que «le statut des baux commerciaux s'applique aux baux de locaux stables et permanents dans lesquels est exploité un fonds de commerce ou un fonds artisanal, ces fonds se caractérisant par l'existence d'une clientèle propre au commerçant ou à l'artisan, que, toutefois, le bénéfice du statut peut être dénié si l'exploitant du fonds est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité».
Le critère de stabilité du local impose que le locataire puisse jouir du même local pendant toute la durée de son contrat, ce qui exclut que le bailleur puisse unilatéralement modifier l’assiette du bail tant dans sa superficie que son emplacement ou encore sa délimitation, sous réserve toutefois de la fraude, si la clause de «mobilité» du contrat n’est destinée qu’à éluder l’application du statut.
Le critère de permanence implique, quant à lui, la jouissance continue et exclusive du local, par opposition à une jouissance intermittente (quelques heures par jour ou quelques jours par semaines ou par mois).
3.- L’abandon de la notion de local
La jurisprudence a franchi un pas de plus en faisant ensuite, primer le critère de stabilité et de permanence sur celui du local clos et couvert, pour l’appliquer cette fois à un espace ouvert, non construit ; en l’occurrence un manège pour enfants installé sur les parties communes d’un centre commercial, pourtant d’une structure aisément déplaçable et démontable.
Alors que par un arrêt du 13 juin 2013, la cour d’appel de Versailles avait refusé de reconnaître la propriété commerciale au locataire, au motif que la convention ne portait pas sur des locaux ou un immeuble comme prescrit par l’article L. 145-1, la société exploitante, à la faveur d’un pourvoi en cassation, avait présenté une question prioritaire de constitutionnalité.
Par arrêt du 20 mars 2014, la Cour de cassation, après avoir dit n’y avoir lieu à question prioritaire de constitutionnalité, a précisé «qu'il ne résulte pas d'une jurisprudence constante que l'application de l'article L. 145-1 du Code de commerce soit soumise à l'exigence d'un local clos et couvert et qu'en soit exclue une surface d'exploitation si l'emplacement concédé est stable et permanent».
La position était ainsi clairement annoncée : exit la notion de local clos et couvert.
La Cour de cassation, statuant ensuite sur le pourvoi relevé à l’encontre de la décision de la cour d’appel de Versailles, a certes, décidé dans son arrêt du 15 octobre 2014, que la société exploitante n’avait pas droit au bénéfice du statut, mais au motif qu’elle ne justifiait pas avoir une clientèle propre, détachable de l'achalandage du centre commercial qui lui imposait ses horaires d'ouverture et de fermeture, ce qui justifiait par ce seul motif la décision de la cour d’appel. Mais la Cour prend soin d’ajouter, que le motif tiré de ce que l'article L. 145-1 du Code de commerce ne pourrait s'appliquer à un espace ouvert pris sur les parties communes d'un centre commercial est erroné.
Il est donc admis par cette jurisprudence qu’une simple surface ou emplacement dans un centre commercial, peut bénéficier du statut des baux commerciaux, si l’activité est exercée de manière stable et permanente et que le locataire peut revendiquer une clientèle propre ainsi qu’une autonomie de gestion suffisante.
Dans une espèce similaire concernant également un manège situé dans un centre commercial, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a, par un arrêt du 20 janvier 2015, rappelé que «le statut des baux commerciaux est applicable, nonobstant la qualification des parties donnée au contrat, à tout local stable et permanent, disposant d'une clientèle personnelle et régulière et jouissant d'une autonomie de gestion».
La notion de local clos et couvert n’apparaît plus dans cette énumération des conditions d’application du statut.
La société locataire prétendait, ici, remplir le critère de stabilité et de permanence, à raison de ce que le déplacement du manège supposait son approvisionnement en électricité et donc des travaux importants et revendiquait, en outre, l’existence d’une clientèle propre et indépendante.
La cour d’appel n’a pas retenu cette argumentation, relevant que le manège, constitué d'un plateau tournant sur lequel sont montés des sujets ainsi que la cabine, peut être installé sur site en quatre heures et est donc aisément démontable, de sorte que le critère de stabilité n’a pas été jugé rempli.
Enfin, dans un arrêt du 22 octobre 2015, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel, d'avoir jugé que bénéficiaient du statut des «structures installées sur un terrain présentant un caractère stable et permanent s'agissant de constructions fixes et solides non transportables ni réutilisables sur un autre site», et ce en présence d'un «mobil-home» de dix mètres de long raccordé à l'électricité posé sur une dalle en béton armé.
On constate ainsi que l’appréciation des critères de permanence et de stabilité restera essentiellement fonction des circonstances de l’espèce.
4.- Les critères de clientèle propre et d’autonomie de gestion aux côtés de la notion d’établissement stable et permanent
Les arrêts précédemment mentionnés (en notes 21 & 22) font référence au critère d’autonomie de gestion de l’exploitant, qui, avec celui de clientèle propre, viennent asseoir la solution juridique.
Ces critères, complémentaires de la notion d’établissement stable, présentent aujourd’hui une importance certaine. Ainsi, par un arrêt récent du 23 juin 2016, la Cour de cassation, au sujet d’une rôtisserie ambulante, a estimé que «le locataire, qui n'a pas la maîtrise exclusive de l'emplacement mis à sa disposition et dépend des infrastructures du magasin pour l'exercice de son activité, est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité et ne peut bénéficier du statut des baux commerciaux».
Cet arrêt confirme qu’il convient de s’attacher, pour la reconnaissance du statut au «local», au caractère stable et permanent d'un lieu d'exploitation, quand bien même il ne constituerait pas un lieu clos et couvert, mais aussi à l'existence de contraintes pesant sur l'exploitant qui seraient incompatibles avec le libre exercice de son activité.
Le critère d’autonomie de gestion de l’exploitant présente pourtant des contours diversement, et parfois difficilement, appréciables.
Souvent fondés sur des contraintes matérielles d’exploitation (horaires d’exploitation dépendant de critères extérieurs à l’exploitant, stockage de matières premières dans d’autres locaux du bailleur, dépendance énergétique de l’exploitant) ou des critères comptables et financiers, notamment dans la maîtrise par le bailleur de la prestation de vente à la clientèle, l’autonomie de gestion sera, selon les cas d’espèce, jugée ou non suffisante.
Les critères modernes substitués à celui d’un local clos et couvert, laissent la place à une plus grande marge d’appréciation, mais aussi d’incertitude juridique.
Ils pourraient inviter le bailleur à multiplier les contraintes d’exploitation du locataire pour échapper au statut, là où ce type de commerces, compléments attractifs et nécessaires aux ensembles commerciaux notamment, présentant par essence une certaine précarité liée à leur mobilité, s’exprimait autrefois dans une certaine liberté.