II.- … mais il peut constituer une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant un déplafonnement du loyer !
Si cette modification ne pouvait être regardée comme une modification notable des caractéristiques des locaux loués, la cour d’appel avait cependant été invitée par les bailleurs à apprécier s’il s’agissait d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité qui avait nécessairement une incidence favorable sur le commerce de bar, brasserie. Et la cour d’appel avait rejeté cette demande au motif que parmi les quatre critères d’évaluation utiles, les bailleurs invoquaient seulement la modification des caractéristiques du local loué. Mais c’était inexact.
On le sait, conformément à l’article R. 145-6 du Code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.
Dans ces conditions, le déplafonnement du loyer est subordonné à une modification effective de l’environnement des locaux loués, ayant une incidence favorable sur l’activité exercée par le locataire. La jurisprudence est constante sur ce point depuis 2011 (Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825), étant observé qu’elle ne doit pas être confondue avec celle qui admet que justifie à elle seule le déplafonnement du loyer du bail renouvelé la modification notable des caractéristiques des lieux loués résultant des travaux qui ont été décidés et réalisés par la locataire du bail expiré (Cass. 3e civ., 9 sept. 2021, n° 19-19.285). Ainsi, justifiait le déplafonnement du loyer, l’installation d’une station de métro à proximité du commerce (CA Paris, 8 sept. 2021, n° 19/21095) ou encore l’évolution de l’urbanisme ou de la voirie (Cass. 3e civ., 5 déc. 1990, n° 89-15.130).
En l’espèce, on ne sait pas si, oui ou non, l’extension de la terrasse constituait une modification des facteurs locaux de commercialité. Mais, la cour d’appel devait procéder à cette recherche, d’autant plus qu’elle y était invitée. Pour ne pas l’avoir fait, sa décision a été censurée pour défaut de base légale. Pour sa part, la cour d’appel de renvoi devra donc nécessairement déterminer si l’extension du commerce par une terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, est de nature à faire évoluer favorablement et notablement les facteurs locaux de commercialité. La Cour de cassation ne laisse pas vraiment le choix puisqu’elle énonce que «l’autorisation municipale accordée en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public contribue le développement de l’activité commerciale».
C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation considère qu’une autorisation administrative portant sur l’installation d’une terrasse sur le domaine public ou sur l’agrandissement de cette terrasse peut constituer une modification des facteurs de commercialité. Il est vrai qu’une telle autorisation contribue autant au développement de l’activité commerciale que la modification du sens de circulation dans une rue, qui résulte également de décisions d’autorités publiques et est, à ce titre, tout aussi précaire.
Cette approche nouvelle des facteurs locaux de commercialité a-t-elle une chance de prospérer ?
On peut le penser à la lecture de la doctrine dont une partie est en ce sens (J.-P. Blatter, Traité des baux commerciaux, Le Moniteur, 6e éd., n° 914 : les facteurs locaux de commercialité sont exclusivement externes au bail et au local). De plus, comme le souligne Yves Rouquet, «[…] l’article R. 145-6 du Code de commerce vise, entre autres, l’attrait particulier […] que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que [les éléments déterminant les facteurs locaux de commercialité] subissent d’une manière durable ou provisoire. Certes, l’installation temporaire d’une terrasse sur le domaine public n’est pas «subie» par le commerçant (puisqu’elle lui est incontestablement profitable) ; toutefois, cet argument ne nous semble pas dirimant pour exclure le jeu de cet article ». En outre, « texte d’application de l’article L. 145-33 du code de commerce, cet article R. 145-6 est un outil visant à déterminer la valeur locative du local loué au regard de l’intérêt que présentent les facteurs locaux de commercialité pour le commerce considéré » Dalloz actualité, 22 oct. 2021, obs. Y. Rouquet. Il a d’ailleurs été jugé que la piétonisation d’une rue (Cass. 3e civ., 10 janv. 2006, n° 04-20.443) ou l’élargissement des trottoirs d’une artère (CA Paris, 2 déc. 2015, n° 14/09224 ; CA Bordeaux, 12 nov. 2018, n° 17/03506), conjugués à d’autres modifications notables, pouvaient conduire au déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
L’extension d’une terrasse située sur le domaine public, comme l’autorisation d’exploiter une terrasse qui jusqu’ici n’existait pas, peut donc constituer, à notre avis également, une modification des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement du loyer du bail commercial renouvelé, à condition que ladite modification soit notable.
Quid des terrasses éphémères que certains cafés-bars-restaurants ont été autorisés à établir, sur le domaine public, dans certaines villes, de manière temporaire, pour «rattraper» le chiffre d’affaires non réalisé du fait de la crise sanitaire ? Difficile à dire ; on notera simplement que les commerçants éligibles à ce dispositif ont d’ores et déjà déposé des dossiers pour être autorisés, dès à présent, à «remonter» leur terrasse lorsque les beaux jours reviendront. S’il s’avère que ce dispositif a vocation à perdurer dans temps, si donc l’éphémère s’éternise, il faudra sans nul doute en tirer les conséquences, en particulier sur le montant des loyers des baux renouvelés, voire sur ceux révisés ou indexés.
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