J.-B. Blanc, Mettre en œuvre les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols à droit constant : la quadrature du cercle ? Rapport d’information n° 19 (2024-2025), déposé le 9 octobre 2024, Sénat
Le groupe de suivi des dispositions relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, mis en place par le Sénat en février 2024, a présenté le bilan de ses travaux mettant en évidence l’existence d’un large consensus autour de la nécessité de sobriété foncière mais également la persistance de difficultés concrètes et de blocages, dont la levée implique des évolutions législatives et réglementaires. Par-delà la large adhésion des élus au principe de sobriété foncière, le document évoque tout d’abord la mise en place de modalités de fixation des objectifs de réduction de l’artificialisation trop rigides qui échouent à prendre en compte les réalités territoriales. Définis sans véritable étude d’impact, les objectifs légaux sont analysés comme ne permettant pas de prendre en compte les problématiques et contraintes locales, notamment celles des territoires ruraux, des communes littorales ou de montagne. Est également remise en question la démarche, qualifiée de calcul technocratique et au doigt mouillé, ayant conduit à déterminer une enveloppe globale d’artificialisation pour l’avenir, uniquement par référence aux dynamiques passées, et ne prenant pas en considération les politiques publiques en faveur de la réindustrialisation et du développement des énergies renouvelables qui accroissent le besoin de foncier dans des proportions difficiles à anticiper avant 2021. A cet égard, les mesures correctrices issues de la loi du 20 juillet 2023 sont analysées comme positives mais insuffisamment prises en compte dans les SRADDET en cours d’élaboration. Le document remet également en question ce qu’il qualifie d’approche binaire retenue par la loi Climat-résilience et le décret Nomenclature du 27 novembre 2023, entre surfaces artificialisées et surfaces non artificialisées. Il est reproché à cette approche de ne pas permettre de prendre en compte la diversité des qualités et des propriétés des sols et, partant, leur capacité à rendre des services écosystémiques et leurs potentiels agronomiques. Il est donc préconisé d’abandonner le principe selon tous les sols se valent et d’adopter une approche fondée sur leur qualité, ce qui est supposé permettre un meilleur ciblage de la protection des terres axée autour de leur potentiel écologique. Plus généralement, il est regretté que la stratégie de réduction de l’artificialisation ait été élaborée en silo, sans tenir compte d’autres politiques publiques de décarbonation et de préservation de l’environnement. A ce titre, s’il est concédé que les grands projets sont de manière générale assez bien identifiés tout en mentionnant que plusieurs projets pourtant structurants n’ont pas été retenus dans la liste finale de l’arrêté, le document souligne que c’est plus rarement le cas des projets de moindre envergure jugés essentiels au dynamisme des territoires.
Le groupe de travail déplore par ailleurs le caractère difficilement intelligible de la loi, ce facteur ayant été aggravé par le manque d’accompagnement pédagogique et le retard mis dans la publication des décrets d’application de la loi Climat-résilience. Ces défaillances sont considérées comme étant à l’origine d’une fragilisation de la qualité du dialogue avec les élus locaux, ayant le sentiment de se voir imposer des contraintes nouvelles au dernier moment, de manière très descendante, les relations avec les services de l’Etat étant parfois de piètre qualité dès lors que ces derniers semblent parfois ne raisonner que par projection des dynamiques démographiques et économiques passées, sans prendre en compte les recompositions territoriales à l’œuvre, à différentes échelles, ni anticiper les effets de politiques d’attractivité volontaristes. De surcroît, sont constatées de réelles lacunes de compréhension de certains concepts clefs pour la mise en œuvre de la stratégie de réduction de l’artificialisation. Souhaitant promouvoir une stabilité normative à long terme, le groupe de travail propose une action en deux temps. Pour la période 2021-2031, l’objectif est de renforcer l’accompagnement des collectivités en financement et en ingénierie et d’opérer des modifications ciblées pour répondre aux grandes priorités nationales. Participent de cette stratégie notamment l’application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l’enveloppe d’artificialisation lors du contrôle de légalité des documents d’urbanisme, l’accompagnement sur mesure sur le terrain, des élus et des aménageurs au travers d’un guichet unique au sein des services préfectoraux, l’élaboration au niveau national d’une foire aux questions unique pour former une doctrine harmonisée sur la mise en œuvre des textes. Il convient également dans ce cadre d’élaborer une réflexion sur le financement de la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, cette question faisant actuellement l’objet d’une mission d’information de la commission des finances du Sénat.
Enfin, il est proposé de lever temporairement et de manière ciblée la contrainte «ZAN» pour répondre notamment à la crise du logement et ainsi d’exclure jusqu’en 2031 du décompte de l’artificialisation des sols, sous certaines conditions, les constructions nouvelles de logements sociaux, pour les communes faisant face à la rareté du foncier. Pour la période postérieure à 2031, il s’agit de dessiner une trajectoire de réduction de l’artificialisation et des modalités de mise en œuvre soutenables, élaborées depuis les territoires (approche «bottom-up»[du bas vers le haut - ndlr]). Dans cette perspective, il est proposé de s’écarter de l’approche retenue par la loi Climat-résilience d’août 2021 pour déterminer le caractère artificialisé ou non d’un sol au travers du recours à l’outil OCS GE censé mesurer l’artificialisation réelle, le document préconisant alors de revenir à une comptabilisation de la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) qui serait maintenue au-delà de 2031 en étant assortie d’un travail de correction des écarts observés entre les fichiers fonciers locaux et les données fiscales à partir desquelles sont élaborées les bases du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA). Par ailleurs, il apparaît nécessaire de reprendre les critères de territorialisation afin de mieux prendre en compte les spécificités des territoires à besoins et contraintes particuliers, notamment les territoires ruraux, de montagne ou littoraux, ou soumis à des risques naturels, ou bien dans lesquels la protection de tout ou partie du bâti au titre du Code du patrimoine limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation. A ce titre il pourrait notamment être envisagé d’inclure dans la loi des mécanismes de surcote de droit, sur le modèle de la garantie de développement communal afin de valoriser les projets contribuant au rééquilibrage ou au désenclavement territorial, à différentes échelles. Le document évoque également l’opportunité d’amender une nouvelle fois le calendrier de modification des documents d’urbanisme, notamment en décalant la période de référence afin d’éviter un phénomène de ruée vers l’artificialisation, avant l’entrée en vigueur de règles plus strictes. En conclusion, le document s’interroge sur l’opportunité d’abandonner l’objectif chiffré à la fois contraignant et illusoire de la loi Climat au profit d’une réaffirmation d’un objectif général de sobriété foncière ambitieux mais moins coercitif, et une orientation en ce sens des choix d’aménagement du territoire et d’urbanisme, grâce à des outils financiers, fiscaux et juridiques permettant d’atteindre cet objectif sans sacrifier les autres priorités de l’action publique locale.
À noter également :
Arrêté du 18 octobre 2024 portant diverses mesures relatives aux formulaires des autorisations d’urbanisme, JO du 19 octobre 2024