[RURAL] - Rapport.- Evolution du foncier agricole.- Nécessaire adaptation du rôle des SAFER

par Guilhem GIL - Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Cour des comptes, Les leviers de la politique foncière agricole, 12 novembre 2020

La Cour des comptes a procédé à une enquête sur l’évolution du foncier agricole et à une série de contrôles destinés à examiner les principaux instruments de politique publique mobilisés pour en assurer la protection.

Le produit de cette enquête s’ouvre sur le constat de la poursuite à la fois de l’artificialisation des sols au détriment de l’agriculture et de la concentration des terres agricoles. S’agissant de l’artificialisation des sols, le document rappelle que c’est l’équivalent de 596 000 ha en dix ans qui ont été concernés. Ce phénomène, inégalement réparti sur le territoire, est particulièrement préjudiciable à l’agriculture périurbaine ainsi que dans les zones littorales et outre-mer. En outre, la superficie agricole utilisée (SAU) continue quant à elle de décroître mais à un rythme moins soutenu. La Cour relève cependant que ces évolutions sont difficiles à quantifier avec précision, en raison de la multiplicité des outils de   mesure utilisés qui divergent fortement sur le rythme de l’artificialisation. Quant à la concentration des terres agricoles, le document souligne que le nombre d’exploitations agricoles a baissé de plus de la moitié en une trentaine d’années tandis que leur surface moyenne est passée de 43 à 63 hectares entre 2000 et 2016. Conjugué à la baisse du nombre de nouvelles installations, ce phénomène doit selon la Cour inciter l’État à s’assurer que les instruments conçus pour maîtriser le foncier agricole, en particulier le contrôle des structures et les SAFER, rendent les services attendus et, au besoin, à les faire évoluer.

Une fois ces constats posés, la Haute juridiction souligne que des améliorations sont nécessaires pour mieux maîtriser l’évolution du foncier agricole, et notamment concernant les SAFER. Tout en constatant les améliorations mises en œuvre depuis la loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation (LAAAF), la Cour estime cependant que l’exercice de leurs missions est partiellement contourné par la progression des formes sociétaires d’exploitation. Elle considère que le moment est venu pour l’État de prendre la mesure des conséquences de la progression des transactions portant sur des parts de sociétés agricoles représentant aujourd’hui l’équivalent de 18 % du marché foncier agricole. Une adaptation du cadre juridique apparaît donc nécessaire aux yeux de la juridiction, cette adaptation pouvant notamment prendre la voie d’une procédure ad hoc d’agrément de cession de parts sociales qui a été esquissée lors de la consultation lancée à l’été 2019 par le ministre de l’agriculture dans la perspective d’une loi foncière. Par ailleurs, la Cour se prononce également en faveur d’une orientation plus affirmée de l’activité des SAFER et de leurs interventions, à la fois en termes de prise de marché mais aussi en  termes  d’attributions sur  des  zones ou des opérations présentant de enjeux particuliers en matière agricole, environnementale ou de développement rural. Elle estime notamment que l’État et le  réseau  des  SAFER  doivent renforcer le  contenu  et  le  suivi  des cahiers  des  charges, dont  sont assorties les opérations d’intermédiation foncière, en intégrant des prescriptions environnementales et culturales qui restent peu mobilisées. Enfin, la Cour affirme qu’une régulation plus efficace du marché foncier agricole apparaît désormais conditionnée par des choix politiques. Elle souligne, en effet, que les évolutions concernant la réduction des terres agricoles, la poursuite de l’artificialisation et la régulation insuffisante du marché foncier rural reflètent non seulement le caractère partiellement inadapté des  instruments  existants mais révèlent également la difficulté des  pouvoirs publics à se prononcer sur la structure souhaitable des exploitations ainsi qu’à concevoir et mettre en œuvre une véritable politique foncière.

Trois scénarios paraissent alors envisageables entre lesquels l’État devra choisir. Le premier, d’inspiration libérale, viserait à assouplir, voire à supprimer, tout ou partie des instruments de régulation pour laisser jouer plus librement le marché. A l’inverse, un deuxième scénario consisterait à créer un outil centralisé de régulation du foncier agricole, doté de pouvoirs renforcés, confiés à une autorité administrative indépendante (AAI). Enfin, une troisième voie pourrait consister en une révision et une adaptation des éléments constitutifs du dispositif actuel en vue d’en améliorer l’efficacité. Tout en soulignant qu’il n’appartient pas à la Cour de choisir entre ces différentes options, elle insiste sur l’importance des enjeux qui ne s’accommode plus du statu quo.

Elle formule dans cette perspective trois recommandations : accélérer et achever d’ici 2023, la mise en place de l’observatoire de l’artificialisation des sols, dans sa dimension interministérielle et territoriale ; définir  un  cadre d’intervention des SAFER sur parts sociales leur permettant d’agir en sécurité et de rendre compte précisément de ces opérations, sous le contrôle renforcé des commissaires du gouvernement ; regrouper la FNSAFER et Terres d’Europe SCAFR au sein d’une entité unique avant la fin de l’année 2021.