L’état condamné pour faute par le juge administratif dans l’évaluation d’un bien

par David SCETBON, Expert immobilier MRCIS
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L'essentiel

Article paru dans les Annales des Loyers N° 05 de mai 2024

Responsabilité des services du Domaine en matière d'évaluation

CAA de Versailles, 6e chambre, 31 janvier 2024, 22VE00765

Rectificatif.- Dans le message ci-après nous avons par erreur annoncé que l’État avait été condamné pour une évaluation. À ce stade de la procédure aucune condamnation n'a été prononcée. (Note de la rédaction)

 

Le commentaire

La valeur d’un bien peut être déterminée sur la base de nombreuses méthodes d’estimation. Il appartient à l’expert d’avoir recours à la méthode la plus appropriée pour obtenir un résultat fiable et cohérent. Le choix cette méthode s’opère en tenant compte des spécificités du bien, de sa nature, de son potentiel ou de son état général. 

La méthode la plus commune est, bien entendu, celle dite de la méthode par comparaison. Elle consiste à définir la valeur d’un bien après avoir réalisé une étude du marché immobilier portant sur les immeubles similaires ayant fait l’objet de vente dans un périmètre proche et dans une période récente. 

Si cette méthode parait naturelle, s’en contenter et ignorer les autres méthodes est délicat, voire source d’erreurs. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’évaluer des biens spécifiques comme par exemple, un immeuble rare ou un immeuble d’investissement, pour lequel l’application des différentes méthodes par le revenu paraît plus pertinente. C’est également le cas pour un terrain nu ou un terrain sur lequel se trouvent des constructions en mauvais état, leur évaluation sera faite notamment par la méthode dite du compte à rebours.

Enfin, il est nécessaire de recouper ces différentes méthodes pour arriver à l’appréciation la plus juste de l’indemnité. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé le principe selon lequel «le juge de l’expropriation doit choisir la méthode qui lui est apparue la meilleure et la mieux appropriée».

Toutefois, les juridictions de l’expropriation se sont de longue date, conformées à une jurisprudence qui consiste à appliquer de manière quasi exclusive la méthode par comparaison sous ses différentes formes, pour l’évaluation des immeubles (il n’en va pas de même pour l’évaluation des fonds de commerce où les méthodes prises en compte sont plus variées). 

Il faut cependant considérer qu’il ne s’agit là nullement d’une quelconque volonté arbitraire de limiter la liberté des parties mais plutôt du souci de se conformer aux dispositions de l’article L. 321-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui prévoit que «Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation».

Le caractère «certain» a régulièrement été mis en avant pour considérer que les méthodes d’évaluation qui comportent une certaine forme d’aléa devaient nécessairement être écartées et ne pouvaient servir à l’évaluation des indemnités d’expropriation. C’est ainsi que l’évaluation par capitalisation a été rejetée de même que celle du compte à rebours.

Il est également assez fréquent que les services des domaines chargés de procéder à l’évaluation des bien expropriés en amont, aient recours également exclusivement à la méthode par comparaison. C’est en partie à ce sujet que s’est intéressée la cour administrative d’appel de Versailles dans un arrêt du 31 janvier 2024 qui fera, sans doute, date. 

La ville de Chartres avait exercé son droit de préemption sur un ensemble de biens à usage commercial qui avaient fait l’objet d’une déclaration d’intention d’aliéner et qui étaient situés dans un périmètre de rénovation urbaine.

La ville avait eu préalablement recours aux services des domaines pour déterminer le prix de préemption qu’elle devrait retenir. France Domaine a évalué l’ensemble immobilier en se fondant sur la seule méthode par comparaison. 

Deux ans plus tard, les mêmes services avaient évalué les mêmes biens à un prix trois fois supérieur. Cette différence notable s’explique par le fait que France Domaine avait alors recouru à des méthodes d’évaluation complémentaires pour opérer des recoupements et tenir compte des spécificités des biens en cause.

La cour administrative d’appel a considéré que cette attitude était fautive et de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Elle indique qu’«en s’abstenant d’évaluer les biens de la société selon la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu ou, du moins en s’abstenant de croiser l’évaluation réalisée selon la méthode par comparaison avec celle de la valorisation par capitalisation du revenu, les services de France domaine ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’état».

On peut saluer une décision frappée du sceau du réalisme. Une application trop systématique de la méthode par comparaison conduit immanquablement à des erreurs d’évaluation voire à de véritables incohérences incompatibles avec le principe de la fixation d’une juste et préalable indemnité. 

Aussi, on peut s’interroger sur l’avenir de cette méthode et sur la prise en compte des principes posés par les juridictions de l’expropriation. Cela pourrait conduire à une véritable révolution en la matière.