L'essentiel
Article paru dans les Annales des Loyers N° 04 avril 2023
Dernières nouvelles des meublés touristiques : toujours plus de rigueur ! Ce commentaire conjoint d’un arrêt de la cour d’appel de Paris et d’un arrêt de la Cour de cassation rendus à propos des meublés touristiques autorise à parcourir les développements récents de la matière.
Cass., 3e civ., 15 février 2023, n° 22-10.187, publié au bulletin
CA Paris, pôle 1re ch. 2, 16 février 2023, n° 22/10187
© Nataliia Vyshneva
Le commentaire
Nul n’ignore désormais qu’afin de ne pas désertifier le centre de nos villes et de préserver un accès suffisant aux locations classiques de résidences principales, le législateur a concocté un ensemble de règles strictes et dissuasives dans le but de décourager le recours à des «locations de courte durée à une clientèle de passage» désignées généralement sous le nom générique de meublés touristiques. Après une période de flottement, pendant laquelle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis la Cour de cassation française ont arbitré en faveur d’une telle solution restrictive fondée sur la notion d’intérêt général et l’absence d’atteinte disproportionnée à la liberté de gestion d’un patrimoine privé, il est acquis que le bailleur ou sous-bailleur qui songe à y recourir doit obtenir une autorisation de changement d’usage, à moins qu’il ne s’agisse d’une résidence principale louée ou sous-louée cent-vingt jours par an au plus.
Cependant, nous avons déploré que les autres dérogations à cette exigence soient pratiquement hors d’atteinte car le régime des compensations à fournir par le retour à l’habitation de surfaces à usage commercial a été fortement durci par le nouveau règlement de la Ville de Paris, et de nombreuses villes moyennes et stations balnéaires ont imposé des quotas ou des restrictions d’usage.
Il était aussi nécessaire de faire respecter les prix encadrés par une extension des zones tendues et le passage du pouvoir des préfets vers les maires pour la poursuite des infractions.
L’arrêt de rejet de la Cour de cassation commenté va dans le sens d’une plus grande sévérité en ce qu’il aborde la situation d’un locataire ayant obtenu de son bailleur une autorisation de sous-location, doublée au surplus par une attestation de licéité au regard de la réglementation sus-évoquée. Ainsi, on peut penser que le propriétaire se croyait indemne de la sanction pécuniaire encourue parce que ce n’était pas lui qui contractait avec les touristes de passage, et de même le locataire, sous-bailleur, se croyait couvert par la position du bailleur principal lui apportant la sécurité d’une action en garantie potentielle.
Aussi, quoi qu’on imagine pour contourner le carcan rigide dans lequel les locations touristiques évoluent depuis qu’ont été levées les incertitudes juridiques initiales, les tribunaux sont incités à sévir et il ne reste qu’un seul instrument efficace de résistance, à savoir invoquer la non-démonstration par l’autorité de poursuite que la situation juridique actuelle, du point de vue de la police administrative des immeubles, existait bien par antériorité au 1er janvier 1970.
Dès lors, la Cour de cassation décide ici, ce qui n’était pas totalement prévisible, et explique que la solution soit adoptée en formation de section, que …
… sur le deuxième moyen, la société locataire principale et sous-bailleur n’est pas fondée à faire grief à l’arrêt du 30 septembre 2021 de la cour d’appel de Paris, de la condamner à une amende civile de 50 000 € alors qu’au visa des articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), la méconnaissance de ces textes normatif et répressif entraîne une responsabilité dont elle ne peut s’exonérer par l’effet d’un avenant au contrat de location par lequel le propriétaire du local lui garantit - faussement - la licéité de la location meublée de courte durée. De cette façon et [ajoutons-nous - ndla] sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la possible existence d’une entente frauduleuse entre les protagonistes, c’est «à bon droit» que les juges du fond ont justifié leur décision par la simple constatation d’une absence d’autorisation de changement d‘usage.
… sur le troisième moyen subsidiaire, consacré à combattre le rejet de la demande de garantie du locataire à l’encontre du bailleur principal, fondé sur un écrit établi sur l’honneur paraissant ouvrir valablement l’action en laissant croire qu’il n’y aurait pas d’obstacle légal à une activité de location saisonnière, la Haute juridiction élude l’habile argumentation du pourvoi reposant sur l’obligation de délivrance du bailleur d’un local apte à son usage contractuel, d’une part, et sur la supposée tromperie qu’aurait constituée une telle manœuvre, d’autre part.
Elle retient, par le biais de la notion d’interprétation souveraine que dès lors que ledit sous-bailleur avait la faculté de mettre en place une location conforme aux textes (sous-entendu, par un changement d’usage grâce à une compensation), ce dernier ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité et donc de la juste sanction qu’il supporte non pas exclusivement, mais en concours avec le bailleur principal, que la Cour d’appel avait condamné conjointement à une amende de 25 000 €, appréciée en fonction des profits respectifs.
On peut imaginer que la solution aurait pu être différente si la locataire avait été un particulier profane, alors que s’agissant présentement d’une personne morale se livrant à une activité lucrative d’une façon qualifiée de professionnelle, la Haute Cour ne pouvait être dupe en reniflant – sans le prendre en compte - un montage concerté en dehors de toute bonne foi des sociétés concernées. D’ailleurs, les juges du fond avaient estimé que la circonstance qu’il y ait eu un acte contractuel couvrant la pratique illégale démontrait de plus fort la connaissance d’une réglementation contraire !
En effet, l’incrimination de toutes les parties complices a été retenue par une certaine jurisprudence et précisément ici, par l’arrêt sus-référencé de la cour d’appel de Paris du 16 février 2023. Toutefois, il est notable que n’échappe à cette issue - car ayant le caractère d’une punition ; l’amende relève d’une interprétation stricte - que le professionnel de l’immobilier qui apporte son entremise.
Par cet arrêt, la cour d’appel de Paris a condamné un propriétaire tentant de contourner la législation analysée, à une amende civile de 50 000 €, le maximum légal. Mais l’arrêt infirmatif de la cour de Paris aborde un cas un peu différent, quoique tout aussi “borderline”. Il était cette fois question d’une location de résidence secondaire sous la forme d’un bail mobilité, innovation de la loi ELAN, dont on sait qu’il est réservé à une clientèle spécifique et pour une durée d’un à dix mois.
Ce type de bien ne relevant pas de l’exception propre aux résidences principales autorisant une location touristique dans la limite d’un plafond de cent-vingt jours par an, un propriétaire-bailleur s’est vu poursuivre par la Ville de Paris pour avoir pensé pouvoir s’affranchir des contraintes légales. Certes, il était fondé à louer sa résidence secondaire en bail mobilité pris comme ersatz d’un bail saisonnier, mais en restant dans l’esprit de la loi qui était de répondre aux besoins limités d’un étudiant, d’un salarié en formation ou en mission, etc.
En l’occurrence, le local à usage d’habitation proposé via Airbnb avait été subdivisé en chambres offertes séparément, et non présenté en son intégralité. Là encore, il semble que la sévérité de la sanction s’explique par cette entreprise d’hôtellerie collective assimilée à une véritable activité commerciale dissimulée.
Seul un logement dans son entier peut faire l’objet du bail mobilité édictent les juges du fond, ce qui doit être relativisé car rien n’empêche selon nous de se placer dans cette perspective en colocation, le statut d’ordre public du bail mobilité aux articles 107 et suivants de la loi ELAN ne l’excluant pas et le mot «colocataires» y étant même évoqué explicitement.
Il est clair que c’est parce que l’article 25-16 modifié de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que son loyer peut être fixé librement que le bail mobilité exerce un attrait pour les détenteurs d’un local d’habitation désireux de retrouver la liberté que leur confisque le réseau de nouvelles obligations et de mesures punitives qui vise autant les plateformes numériques qu’un certain nombre de petits malins propres à se distinguer par la volonté de contourner la réglementation par cupidité, ou simplement par souci de rentabiliser un bien déjà surfiscalisé.
En outre, il faut entretenir le bien voire le rénover s’il s’agit d’une passoire thermique, puisque le gouvernement a averti qu’il envisageait d’étendre l’interdiction de louer les locaux les plus énergivores aux meublés touristiques. De la sorte, 80 % de l’offre locative dans les stations de sports d’hiver serait affectée, ce qui serait dévastateur. Les organismes de type Airbnb ont été, de leur côté, soumis à des amendes record, tandis qu’on voit poindre des condamnations envers les particuliers recourant à cette intermédiation à des sommes jamais vues (189 000 €, 221 000 €, 130 000 €) lorsqu’ils s’affranchissent de l’immatriculation sur déclaration en mairie.
Ajoutons à cela que sous-louer de façon prohibée expose dorénavant à devoir restituer non seulement les sous-loyers illicites, considérés comme des fruits par accession au bénéfice du propriétaire, mais aussi sans déduire les loyers principaux perçus, depuis que la Cour de cassation en est venue à juger qu’une cour d’appel n’avait pas à pratiquer semblable déduction !
Concluons donc que la justice est devenue un auxiliaire zélé d’un dispositif de plus en plus répressif, destiné à entraver une tendance qui n’a pourtant nullement diminué. 50 000 annonces à Paris qui a perdu au moins 20 000 offres traditionnelles, la France demeurant le deuxième marché d’Airbnb après les USA. Les meublés de tourisme constituent en certains quartiers jusqu’à 20 % de l’offre locative globale.
Il devient pour le moins acrobatique, autant pour les pouvoirs publics d’espérer éradiquer le mouvement, que pour les usagers de passer entre les gouttes. Mais le Conseil d’État n’avait-il pas lucidement pronostiqué dans son avis sur la loi ELAN que l’ampleur du phénomène rendrait illusoire l’abondance des sanctions, l’administration ne pouvant assurer suffisamment les contrôles nécessaires (restés effectivement embryonnaires) ?