Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 17-16.113, publié au bulletin.
Dans cet arrêt, était en jeu l’application de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce issu de la loi Pinel qui prévoit que lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose alors d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d’acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.
En l’espèce, une SCI propriétaire d’un immeuble et d’un terrain donnés à bail à deux sociétés est dissoute et son liquidateur amiable a assigné les associés en autorisation de vente de l’ensemble immobilier aux enchères publiques. A titre reconventionnel, les associés - dont l’un d’eux était le gérant de la société locataire du restaurant - ont soutenu que l’un des locataires était fondé à revendiquer le bénéfice du droit de préemption. La demande a été rejetée en appel au motif que le texte de l’article L. 145-46-1 ne s’applique pas en présence d’une vente judiciaire. Les juges ont par ailleurs ajouté que même si le texte devait être appliqué, le droit de préemption ne pouvait être exercé s’agissant de la «cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux» (CA Aix-en-Provence, 14 févr. 2017, n° 15/13116, AJDI 2017, p. 511, obs. Haas). Les auteurs du pourvoi ont fait alors valoir que l’adjudication amiable est, contrairement à celle résultant d’une saisie immobilière, une modalité de la vente résultant d’un choix du propriétaire de sorte qu’elle entre dans le champ d’application de l’article L. 145-46-1 qui vise la vente. Le droit de préemption aurait donc dû doit être proposé lorsque le propriétaire «envisage de vendre son bien», c’est-à-dire avant toute vente, fût-elle par licitation et non après celle-ci.
A propos de l’exception au texte, les auteurs du pourvoi ont encore fait valoir que «l’immeuble de la SCI était constitué de la parcelle [...] sur laquelle était édifié un restaurant exploité et de la parcelle [...] vide de toute construction, seulement constituée d’un terrain». Donc, en l’absence de locaux extra-commerciaux à côté du local commercial, l’exception n’avait pas vocation à s’appliquer.
Le pourvoi est rejeté. La vente aux enchères publiques de l’immeuble, constituant l’actif de la SCI en liquidation, était une vente judiciaire. Par ailleurs, le locataire qui entendait faire jouer son droit de préemption n’était locataire que pour partie de l’ensemble immobilier mis en vente, le terrain ayant été donné à bail à d’autres sociétés. Les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce n’étaient donc pas applicables.
Sur la nature de la vente. Le droit de préemption joue lorsque le propriétaire envisage de vendre. Le texte n’est pas plus précis quand il envisage l’opération qui aura pour effet de faire naître le droit de préemption du locataire. Faut-il réserver son application aux hypothèses de ventes amiables de l’immeuble ? La Cour répond par l’affirmative en écartant le droit de préemption du locataire en cas de vente aux enchères publiques et autorise à l’écarter pour toutes les «ventes judiciaires». Il est vrai que, dans cette hypothèse, le vendeur aurait bien du mal à communiquer au locataire le prix de vente envisagé, ce prix de la vente n’étant pas fixé puisque ressortant de la dernière enchère.
Sur l’objet de la vente. In fine, l’article L. 145-46-1 écarte du champ d’application les hypothèses suivantes : cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial, cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.
Précisément, en l’espèce, l’adjudication portait sur un immeuble composé d’un local d’exploitation et d’un terrain, les deux étant loués à des personnes distinctes. La doctrine s’interrogeait à propos de cette expression «cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux». Fallait-il en déduire que l’exclusion du droit de préemption ne se justifiait qu’en présence d’une vente d’un immeuble à usage mixte ? Ce n’est pas l’interprétation retenue par la Cour puisqu’elle refuse de le faire jouer alors qu’il ne faisait l’objet que de baux commerciaux.