Cons. constit., 11 juin 2021, n° 2021-915/916 QPC
Article paru dans les Annales des Loyers N° 07-08 de juillet-août 2021
Le Conseil constitutionnel a été saisi (Cass. 3e civ., 1er avril 2021, n° 21-40.004 ; 20-17.133 ; 20-17.134) de deux questions prioritaires de constitutionnalité visant l'article L. 322-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Ce texte, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 novembre 2018, prévoit que, par principe, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance. Toutefois, et sous certaines réserves, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête, le moment d’appréciation de cet usage pouvant dans quelques cas être encore antérieur. Le texte précise par ailleurs que, quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis la date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée. Selon les requérants, ces dispositions auraient prévu des modalités inconstitutionnelles d'évaluation du bien exproprié en cas d'opération d'expropriation pour revendre. En effet, elles ne permettraient pas au juge de l'expropriation d'accorder une juste et intégrale indemnité dès lors qu'elles lui imposent d'évaluer ce bien en considération de son seul usage effectif à une date située très en amont de celle à laquelle il fixe le montant de l'indemnité, sans lui permettre de tenir compte du prix auquel l'expropriant entend vendre le bien, dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine. Ce faisant, elles méconnaîtraient les exigences de l'article 17 de la DDHC de 1789. Après avoir rappelé la teneur de ce texte, le Conseil a souligné, d’une part, que l'expropriation d'un bien ne peut être prononcée qu'à la condition qu'elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée, sous le contrôle du juge administratif et, d’autre part, qu’en interdisant au juge de l'expropriation, lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due à l'exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations. Ainsi, le législateur a entendu éviter que la réalisation d'un projet d'utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics et a poursuivi un objectif d'intérêt général. De surcroît, le Conseil a indiqué que, pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l'article L. 322-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. À ce titre, il peut notamment prendre en compte l'évolution du marché de l'immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision. Le Conseil en a conclu que les dispositions contestées ne portaient pas atteinte à l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité et donc que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration de 1789 devait donc être écarté.