L’essentiel
Seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division annexés aux actes de la copropriété. Tel est en substance ce qu’il faut retenir de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 2022.
Cass. 1ère civ., 29 juin 2022, n° 20-18.136, publié au Bulletin
Le commentaire
Un office notarial avait reçu, à la demande d’une SCI, le règlement de copropriété et l'état descriptif de division d'une copropriété constituée de deux lots, correspondant à deux superficies matérialisées en vert et en jaune sur un plan annexé aux actes, chacun des deux lots comprenant un chalet et un jardin privatif, l'accès commun à la voie publique constituant une partie commune. Si le lot de copropriété supportant le chalet n° 1 avait été vendu au gérant de la SCI, le chalet n° 2 avait été acquis par un couple.
Soutenant que l'accès à la voie publique n'avait pas été réalisé à l'emplacement matérialisé sur le plan annexé à l'état descriptif de division correspondant à la partie commune et qu'il empiétait sur leur jardin privatif, le couple a assigné notamment le syndicat des copropriétaires, les personnes venant aux droits de la SCI, entre-temps dissoute et liquidée, l'ex-gérant de la SCI - lui-même copropriétaire -, ainsi que la société notariale en substitution d'un régime de pleine propriété au régime de la copropriété, en interdiction au propriétaire du chalet n° 1 de tout passage sur leur lot et en indemnisation de leurs préjudices.
Si d’autres arguments ont été invoqués à l’appui de leur demande, c’est sur un point particulier que l’arrêt du 29 juin 2022 s’avère très intéressant (et explique sans doute qu’il aura les honneurs du Bulletin).
En effet, le deuxième moyen faisait grief à l'arrêt d’avoir rejetées les demandes des époux en annulation du plan de division, tendant à faire constater l'inexistence de la copropriété, à l'attribution de la parcelle n° 2 en pleine propriété et en responsabilité contre la SCI et son ancien gérant. Les demandeurs au pourvoi reprochaient à la cour d’appel de Chambéry d’avoir statué ainsi alors « qu'en retenant qu'il importait peu que le plan annexé à l'état descriptif de division eût été réalisé par un géomètre-expert ou non, cependant qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers, la cour d'appel en a violé par refus d'application les dispositions ». Il a également été mis en avant qu'il ressortait « des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers ».
La première chambre civile de la Cour de cassation devait répondre favorablement aux auteurs du pourvoi en ces termes :
« Vu les articles 1, 1°, et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, dans leur rédaction issue de la loi n° 87-998 du 15 décembre 1987 visant à garantir le libre exercice de la profession de géomètre-expert :
Il résulte de ces textes que seuls les géomètres-experts inscrits à leur ordre peuvent réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers. A ce titre, ils lèvent et dressent, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière.
Pour rejeter les demandes de M. et Mme […], l'arrêt retient que le plan annexé aux actes de la copropriété est régulier et s'impose aux copropriétaires successifs, peu important que ce plan n'ait pas été réalisé par un géomètre-expert.
En statuant ainsi, alors que le plan annexé aux actes de copropriété délimitait les droits fonciers des copropriétaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Il est clairement affirmé par la Haute juridiction que seuls les géomètres ont la possibilité d’établir les plans annexés aux documents d’une copropriété soumise au statut de la loi du 10 juillet 1965.
Observations :
La décision rapportée vient consacrer l’interprétation exposée lors du 41ème Congrès des géomètres-experts à La Rochelle en 2012, par Daniel Labetoulle, Commissaire du gouvernement et président d’honneur de la section du contentieux du Conseil d’Etat. Ce principe dit « de La Rochelle » énonce que relève de la compétence exclusive accordée au géomètre-expert par la loi de 1946, l’établissement des plans joints à un état descriptif de division de copropriété et les modificatifs.
En effet, outre le règlement de copropriété qui définit tant les parties privatives que communes et détermine leur destination, ainsi que les conditions de leur jouissance, l’état descriptif de division comporte à la fois la désignation des différentes fractions d’un immeuble et celle de l’ensemble de celui-ci (D. n° 55-22, 4 janv. 1955). A ce dernier titre, l’article 71-3 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 dispose que « chaque fraction doit être identifiée par son emplacement, lui-même déterminé par la description de sa situation dans l’immeuble ou par référence à un plan ou croquis annexé à la minute de l’acte ».
Or, la loi du 7 mai 1946 instituant l'Ordre des géomètres-experts indique que seuls les géomètres-experts inscrits à leur ordre peuvent réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et qu’à ce titre, ils lèvent et dressent les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, en particulier les plans de délimitation de la propriété foncière (L. 1946, art. 1 et 2). Délégataire de puissance publique, le géomètre-expert définit et garantit les limites de propriété. Il bénéficie, à cet égard, d’un monopole. Ainsi, il en a été déduit logiquement par la Cour de cassation qu’un plan annexé aux actes d’une copropriété délimitant les droits fonciers des copropriétaires devait nécessairement être établi par un géomètre-expert.
Telle était déjà la position défendue par l’Ordre des géomètres-experts. Jean-François Dalbin, ancien Président du Conseil de l’ordre, avait eu l’occasion d’expliquer dans nos colonnes les raisons qui conduisaient à inclure l’élaboration des plans d’une copropriété dans le champ d’application du monopole prévu par la loi de 1946 ( A lire dans le n° 641 des Informations rapides de la copropriété : L'entretien avec Jean-François Dalbin).
Une lecture différente avait été retenue dans un avis de l’Autorité de la concurrence du 28 février 2018 (n° 18-A-02) (www.autoritedelaconcurrence.fr). Cet avis mentionnait qu’« aucun droit exclusif ne semble avoir été octroyé par la loi ou le règlement aux géomètres-experts en matière de réalisation d’un plan ou d’une esquisse annexé à un état descriptif de division de copropriété ». Et l’Autorité de la concurrence de suggérer « de prévoir explicitement dans la loi que les plans et esquisses annexés aux états descriptifs de division de copropriété n’entrent pas dans le champ du monopole des géomètres-experts.» Mais il ne s’agissait là que d’un avis purement consultatif.
Au lendemain de cet avis, une partie de la doctrine avait d’ailleurs émis des réserves et mis en lumière les avantages retirés de l’annexion à l’état descriptif de division de plans établis par un géomètre-expert. Selon Maître Agnès Lebatteux, « cette vision libérale ne tient pas compte de l’objectif poursuivi par le législateur en instaurant le monopole. » ( A lire dans le n° 641 des Informations rapides de la copropriété : L'entretien avec Maître Agnès Lebatteux). Elle avait émis le vœux « que la réforme du droit de la copropriété reconnaisse les plans annexés à l’état descriptif de division comme délimitant la «propriété» des parties privatives et communes et consolide le monopole des géomètres-experts. »
Il est indéniable que l’ensemble des praticiens, y compris les juges, appréhendent le lot de copropriété comme un immeuble par nature. Autrement dit, un bien foncier. Par ailleurs, nombre de litiges en copropriété portent sur la nature des droits sur certaines parties de l’immeuble (interprétations contradictoires ou silence du règlement de copropriété) ou sur des atteintes portées à ces droits (occupations illicites, appropriations de parties communes, etc.). L’élaboration de plans par les professionnels que sont les géomètres-experts permet précisément de prévenir ou de résoudre ce type de contentieux récurrent.
La solution apportée par l’arrêt du 29 juin 2022 est sans ambiguïté. Le rôle du géomètre-expert en sort ici renforcé, contribuant utilement à la sécurité juridique des actes élaborés lors de la mise en copropriété des immeubles tout en garantissant les droits des propriétaires de lots.