L'essentiel
Article paru dans les Annales des Loyers N° 09 de Septembre 2024
Le juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, doit s’assurer, au jour où il statue, que de tels loyers et charges demeurent impayés ; à défaut, la demande doit être rejetée.
Cass. com, 12 juin 2024, n° 22-24.177, FS-B, publié au bulletin
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Le commentaire
Le 28 avril 2020, une société de pressing bien connue a été mise en redressement judiciaire. Quelques mois avant l’adoption d’un plan de redressement, le bailleur a saisi, le 10 septembre 2020, le juge-commissaire d’une requête aux fins de voir constater la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 622-14, 2° du Code de commerce et de l’article R. 622-13 du même code. En somme, le bailleur sollicitait la constatation de la résiliation du bail en raison du défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture. Et, conformément aux textes, il agissait plus de trois mois après le jugement d’ouverture, si bien que la résiliation devait être constatée.
En effet, lorsqu’une entreprise est placée en procédure collective et qu’elle dispose d’un bail notamment commercial, elle bénéficie d’un délai de trois mois lui permettant de ne pas régler les loyers postérieurs au jugement d’ouverture (les loyers antérieurs étant pour leur part gelés). A l’issue de ces trois mois, si elle règle les loyers postérieurs, en principe au plus tard le dernier jour du troisième mois, l’on considère qu’elle régularise sa situation de manière à lui permettre de continuer à bénéficier du bail commercial. Cette tolérance est fondamentale puisqu’elle permet à l’entreprise, en difficulté, de conserver son droit au bail qui est souvent le seul actif qui donne encore de la valeur à l’entreprise. En revanche, si, au bout des trois mois, les loyers postérieurs ne sont pas réglés, le bail doit en principe être résilié.
En l’espèce, à la date du 10 septembre 2020, date de la saisine du juge-commissaire, il était évident que le délai de trois mois postérieur au jugement d’ouverture était expiré, de sorte que le juge-commissaire aurait dû constater la résiliation du bail. Toutefois, le juge-commissaire, rendant son ordonnance le 1er février 2021, a rejeté la demande de constatation de la résiliation du bail. Cette ordonnance a été confirmée par le tribunal de commerce sur le recours de la bailleresse et son appel a été rejeté par la cour d’appel compétente. Il s’avérait que la société locataire avait procédé au versement des loyers dus le 9 septembre 2020 et le paiement en avait été reçu par la bailleresse le 10 septembre 2020, date à laquelle elle a déposé sa requête.
Pour justifier la confirmation de la position du juge-commissaire, la cour d’appel a considéré qu’ «Il résulte du texte applicable que s’agissant des loyers postérieurs au jugement d’ouverture, le bailleur recouvre sa faculté d’agir en résiliation, pour impayés, au terme d’un délai de trois mois après l’ouverture de la procédure, le texte précisant au surplus que si le paiement des loyers postérieurs impayés est intervenu au cours de ce délai de trois mois la résiliation ne peut être prononcée». Cependant, la cour ajoutait : «Or, il ressort de la jurisprudence que le défaut de paiement des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture, doit être établi au jour de l’introduction de la requête et que ce défaut de paiement constitue une condition de fond de la résiliation. Ainsi, si au jour de la requête les loyers échus postérieurement à l’ouverture de la procédure et demeurés impayés ont été réglés la résiliation du bail ne peut être prononcée par le juge».
En l’occurrence, la cour concluait qu’au jour du dépôt de la requête les loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture étaient réglés, tant et si bien que la demande de constatation de la résiliation du bail articulée par le bailleur devait être rejetée, les causes de la résiliation n’existant plus au jour de la demande.
Néanmoins, l’arrêt d’appel a fait l’objet d’un pourvoi, le bailleur estimant que les juges du fond avaient ajouté au texte une condition qu’il ne mentionne pas. Ainsi, le moyen soutenait que : «En se fondant sur la circonstance inopérante que (la bailleresse) avait reçu paiement des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture le jour du dépôt de sa requête, cependant qu’il résultait de ses propres contestations que les loyers afférents à la période postérieure au jugement d’ouverture étaient demeurés impayés à l’expiration du délai de trois mois à compter de ce jugement, la cour d’appel a violé les articles L. 622-14, L. 622-17 et R. 622-13 du code de commerce».
Or, contre toute attente, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du bailleur, estimant qu’il résulte de l’article L. 622-14, 2° du Code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 du même code, et de l’article R. 622-13, alinéa 2, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article R. 631-20, que le juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, doit s’assurer, au jour où il statue, que des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture demeurent impayés.
La Cour de cassation apporte ici une précision, à notre sens, inédite.
Concernant la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture, la Cour de cassation considère traditionnellement que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de l’article L. 641-12, 3° du Code de commerce, il doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions en sont réunies et ne peut accorder aucun délai de paiement prévu par l’alinéa 2 de l’article L. 145-41 du Code de commerce, ni même faire usage de la faculté d’accorder des délais de paiement en application de l’article 1343-5 du Code civil.
Il n’entre pas au demeurant dans les prérogatives du juge-commissaire le pouvoir d’accorder des délais de paiement ni de suspendre les effets de la résiliation. La procédure devant le juge-commissaire est spécifique et autonome par rapport à la procédure de droit commun devant le juge des référés ; en cas de saisine du juge-commissaire, il n’est ainsi pas nécessaire de faire délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire. Le juge-commissaire ne peut pas non plus prononcer l’expulsion du locataire. C’est d’ailleurs et notamment la raison pour laquelle les bailleurs préfèrent agir en général en référé (sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile) devant le juge de droit commun (qui est le président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble), respectant alors la procédure de l’article L. 145-41 du Code de commerce (au préalable, délivrance par acte extra-judiciaire d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis assignation en référé).
Dans l’arrêt commenté, non seulement la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du bailleur, mais encore a-t-elle apporté cette nouvelle précision selon laquelle c’est à la date à laquelle il statue que le juge-commissaire doit s’assurer que des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture demeurent impayés (et non au jour où la requête est déposée sachant qu’en général, à cette date, le délai de trois mois est déjà dépassé).
Cette solution est évidemment très protectrice des intérêts de l’entreprise, favorable au droit des entreprises en difficulté. Comme le révèlent les faits de l’espèce, un plan de redressement avait été adopté peu après la saisine du juge-commissaire. Or, la résiliation du bail compromettrait sérieusement sa correcte exécution en perturbant la poursuite d’activité. Dès lors, admettre que la résiliation est évitée bien que la régularisation des impayés intervienne après l’expiration du délai de trois mois permet de ne pas compromettre les chances de succès du plan de redressement judiciaire de l’entreprise tout en préservant les intérêts financiers du bailleur (en principe payé dans le cadre du plan). Et ce qui vaut en redressement (voire en sauvegarde) peut valoir aussi en liquidation judiciaire car même en ce cas, cette extension du délai de régularisation présente un intérêt en offrant davantage de temps au liquidateur pour pouvoir céder le droit au bail, seul actif qui conserve de la valeur (le prix de cession permettant le paiement – partiel – des créanciers).
La solution qui consiste à reporter à la date à laquelle le juge-commissaire statue la constatation du défaut de paiement des loyers et charges est d’autant plus protectrice du débiteur en difficulté que c’est le juge-commissaire qui fixe la date de son audience (dans la présente affaire l’ordonnance a été rendue plus de quatre mois après sa saisine). Ce n’est sans doute pas offrir au débiteur une immunité quasi-illimitée, mais c’est lui permettre d’augmenter ses chances de sauvegarder ou de redresser son entreprise ou encore de la liquider par l’intermédiaire du mandataire judiciaire ou de l’administrateur judiciaire dans les moins mauvaises conditions (en raison de la cession du droit au bail).
Cet important avantage accordé au mandataire judiciaire pourrait conduire la pratique des bailleurs et de leurs conseils à privilégier, pour les baux qui comportent une clause résolutoire, le commandement d’avoir à payer les loyers et charges et la saisine du juge des référés du tribunal judicaire, au détriment de la saisine du juge-commissaire. Certes, le juge de droit commun peut accorder des délais, mais ce sont seulement des délais de paiement. Surtout, il y a une certaine maîtrise du calendrier procédural devant le juge des référés, tandis que devant le juge-commissaire le bailleur ne peut que subir la date à laquelle l’audience sera fixée. Pour le dire autrement, la procédure est censée être plus rapide devant le juge des référés que devant le juge-commissaire.
La solution de l’arrêt sous commentaire prend clairement le parti de favoriser l’entreprise locataire en difficulté au détriment du bailleur. Le contexte économique actuel y est sans doute pour beaucoup.