[2017-11] - Le voisin dans les troubles du voisinage

par Frédéric Bérenger, Avocat au barreau d’Aix-en-Provence
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Le voisin peut adopter un comportement qui, non lié à l’usage de son fonds (véhicule, jardinage, …), a pour objet de nuire au voisin.
Le rapprochement avec la faute et l’intention de nuire est remarquable : gros plan sur le voisin indélicat.

Cette chronique est extraite du Guide des troubles de voisinage, signé de Frédéric Bérenger, avocat au barreau d’Aix-en-Provence.
La question des relations de voisinage alimente un contentieux considérable, presque étonnant pour celui qui croit encore à une relation harmonieuse entre voisins, sans dispute, sans arrière-pensée, sans jalousie, sans haine.
Parmi les variétés de troubles de voisinage, ceux occasionnés par le voisin occupent une place
Le Guide des troubles de voisinage, 3ème édition, septembre 2017, 370 pages, 39 €, plus de 2 000 références de jurisprudence. Disponible sur www.edilaix.com


Le voisin curieux. Les hypothèses où le voisin se montre un peu trop curieux, voyeur, sont assez connues. C’est le cas lorsque ce dernier se cache derrières les haies pour espionner son voisin et ses invités lorsque ceux-ci sont dans la piscine1 ou qu’il le filme à son insu à l’aide d’un caméscope2. Que dire de celui qui a réalisé des ouvertures dans sa haie pour voir sans être vu3 ? L’on observe de plus en plus désormais des affaires où les propriétaires installent des caméras afin de contrôler les allées et venues des voisins entraînant de ce fait un trouble de voisinage4. La théorie des troubles de voisinage est souvent retenue par les juges alors que seuls les articles 1240 du Code civil ainsi que l’article 9 relatif à la protection de la vie privée devraient s’appliquer5.

Il a été jugé que l’inconvénient anormal de voisinage n’était nullement caractérisé concernant l’installation d’un visiophone par le voisin dont il était établi par constat d’huissier que l’appareil ne constituait en aucun cas un outil de vidéo-surveillance qui permettait de visionner en permanence l’extérieur et qu’il ne permettait pas d’effectuer des enregistrements6. Inversement, l’installation de vidéo-surveillance attachée au mur litigieux, parce qu’elle comportait un dispositif capable de faire pivoter les caméras par un joystik permettant ainsi une atteinte à la vie privée des voisins constituait un trouble anormal de voisinage7. De même, la Cour de cassation a censuré un arrêt de cour d’appel qui, pour  rejeter la demande fondée sur l’atteinte à l’intimité de sa vie privée, avait énoncé que la «présence d’une caméra a été constatée par huissier, les colotis expliquant qu’il s’agit d’une caméra hors d’usage et que ce leurre était destiné à impressionner la demanderesse et son fils, eux-mêmes coupables de harcèlement. En statuant ainsi, tout en reconnaissant la pose d’une caméra dans l’axe de la propriété voisine, ce qui suffisait à rendre compte d’une atteinte à la vie privée de l’intéressée, et de ce seul fait, ouvrait droit à réparation, la cour d’appel a violé l’article 9 du Code  civil»8. Il y a dans ce type de contentieux un brin de paranoïa manifeste, à un tel point d’ailleurs qu’il n’est pas rare que le demandeur  découvre, à l’occasion d’une procédure, que la caméra n’était en réalité qu’une station-météo9


Le voisin sans gêne. Il y a aussi le voisin sans gêne. Nonchalant, il peut aussi appliquer à la lettre la formule consacrée «faites comme chez vous» ! C’est le cas par exemple de celui qui profite de l’absence de ses voisins pour pénétrer chez eux afin de remplir des seaux d’eau au robinet fixé sur la façade arrière de la maison et utiliser du matériel10.

 

Le voisin exhibitionniste existe aussi… Constitue ainsi un trouble de voisinage, ainsi qu’une infraction pénale11, le fait de s’exhiber nu sur son balcon12 ou de se promener nu devant sa villa ou l’immeuble13.

 

Le voisin jaloux, haineux ou violent. Certains voisins adoptent des comportements qui sont bien plus graves que ceux précédemment exposés. La jalousie du voisin est, par exemple, une donnée majeure des troubles de voisinage. Elle peut avoir diverses sources : construction ou aménagement sur le fonds, son rendement ou, assez fréquemment, l’acquisition du fonds lui-même alors que le voisin, écarté de la vente, voulait l’acquérir. Personne ne sait jamais réellement si les faits suivants ont été guidés par la jalousie, sans doute ont-ils d’autres sources, mais on peut bien supposer au fond qu’ils sont l’une des manifestations possibles de la réaction d’un voisin jaloux.

Des ouvrages anciens donnent ainsi des exemples saisissants relevés dans le monde rural. Le voisin agriculteur jaloux de la réussite de l’exploitation de moutons de son voisin n’aura qu’à utiliser le «gobe-mouton ». Il s’agit de petites pelotes composées de bourre, filasse, friture, miel, beurre ou poix et qui peuvent par ingestion détruire un troupeau entier14. De la même manière, le scopélisme est un procédé magique qui se pratiquait notamment en Arabie et qui permettait de stériliser les champs ; né de la haine des pasteurs contre les agriculteurs, il s’agissait simplement de rassembler sur le champ une pile de cailloux assortie de paroles mystérieuses. Le résultat était efficace : plus personne n’osait mettre les pieds sur la terre15. Les voisins jaloux ou haineux n’avaient alors qu’à jeter des pierres sur les fonds ou encore les jardins bravant ouvertement les sanctions les plus redoutables, puisque au Moyen-Âge le scopélisme était sanctionné par la peine de mort.

Des comportements plus ou moins violents peuvent de la même façon voir le jour. Il peut s’agir de scènes de ménage16, menaces, insultes et agressions verbales17 notamment sur les origines18 à tel point qu’ils conduisent le voisin à déménager19 et dissuadent les agences de faire visiter les lieux20. Le climat, dans certains cas, peut aboutir à des situations plus que dangereuses21.
Ces comportements frôlent parfois le ridicule et permettent de douter en tout cas de la présence d’êtres raisonnables. C’est le voisin qui lance ses mégots de cigarettes sur le fonds voisin, coupe les fleurs et plantes de ce dernier et arrose les membres de sa famille22, jette des sardines sur la terrasse23, qui a un fonds contigu desservi par un unique branchement au réseau de distribution d’eau et qui provoque des coupures d’eau intempestives en privant son voisin d’eau pendant plusieurs mois24. Que dire aussi de ce propriétaire qui ne supportait plus l’activité de chasse de son voisin et circule sur son propre fonds limitrophe à bord d’un véhicule muni d’un gyrophare, en tirant des coups de feu, des fusées éclairantes et des coups de canon à carbure25 ou qui fait tourner sa bétonnière à vide26, qui installe une tête de poupée dirigée vers l’habitation du voisin, dépose des fleurs de cimetière fanées sur le muret séparatif des propriétés, un poulet mort, une oie pendue à une corde avec un panneau portant la mention «débile»27 ou qui dépose les excréments de son chien dans la boite aux lettres du voisin28 ?

Il a, en revanche, été jugé que «si deux plaques métalliques ont été posées respectivement sur un volet et sur une porte de bâtiment appartenant à l’exploitante agricole responsable du trouble de voisinage, et contenant les mentions suivantes : «si haut que l’on se place, on n’est jamais assis que sur son cul» ainsi que «place des cons», aucun élément du dossier ne permet cependant d’établir que de telles inscriptions auraient été apposées à destination des voisins et ne relèveraient pas plutôt d’un humour - douteux - de l’intéressée. La demande tendant au retrait desdites inscriptions est par suite rejetée»29.

Mais la bêtise humaine atteint sans doute son paroxysme lorsque le voisin a atteint un degré de haine tel qu’il adopte un comportement totalement paradoxal ,en empêchant son voisin de quitter les lieux. C’est le cas lorsqu’il tire un coup de fusil dans la voiture d’un acheteur potentiel30 ou qu’il plante sur son terrain des panneaux destinés à informer les éventuels acquéreurs d’une querelle de voisinage31, les juges relevant alors que «les inscriptions portées sur des panneaux implantés sur le terrain du voisin constituent un abus de droit et un trouble volontaire de voisinage, inspirés par le désir de nuire et le ressentiment»32. Décidément, le cœur des voisins à ses raisons que la raison ignore…


Les ébats amoureux. Ces troubles ne présentent guère d’originalité ; si l’on fait abstraction de l’origine des nuisances, ils n’en restent pas moins des troubles sonores comme les autres. Ils sont pourtant courants et ne devraient être sanctionnés qu’en raison de leur fréquence ou de la période durant laquelle ils ont lieu.  

L’attendu significatif d’un jugement mérite à cet égard d’être reproduit même si, bien évidemment, il présente des faits qui demeurent tout de même d’une gravité remarquable : «attendu qu’il résulte des attestations produites que (la locataire) fait monter chez elle des dizaines d’hommes par jour ; qu’elle pousse des hurlements de jouissance accompagnés de mots obscènes à toute heure du jour et de la nuit ; que les voisins sont réveillés par ses manifestations de plaisir en pleine nuit ; que son voisin du dessus est obligé de marteler le sol à coups de poing pour calmer ses ardeurs ; que, toujours en pleine nuit, des hommes s’excitent sur leur klaxon et sa porte d’entrée pour l’appeler ; que certains se trompent de porte et sonnent aux portes d’à côté ; que (la locataire) se promène sur son balcon en string pour racoler maris, femmes, enfants avec explication de ce qu’elle veut faire ; qu’elle a crevé les quatre pneus de la voiture d’un attestant sous prétexte que celui-ci avait refusé ses avances ; qu’il lui est arrivé d’enfermer un homme sur son balcon , lequel a été obligé d’escalader le balcon du voisin pour sortir ; qu’elle jette ses préservatifs usagés par la fenêtre ; qu’elle traite ses voisines de «vieilles p…» ; que, selon un attestant, la locataire «s’est fait une spécialité dans l’explosion sonore lors de ses quotidiens et nombreux ébats amoureux» ; attendu qu’il résulte de ce qui précède que la jouissance (de la locataire) est une jouissance bruyante, gênante et préjudiciable aux autres occupants de l’immeuble»33.


275-1. Le voisin décédé. Il s’agit ici d’un cas isolé voire exceptionnel d’une action en trouble anormal de voisinage suite aux désordres causés par…un cadavre. En effet, dans une affaire, l’appartement du voisin du dessous avait été souillé par des écoulements et odeurs venant de la dépouille mortelle du voisin du dessus restée plusieurs jours sans être enlevée. Les juges ont relevé que l’héritière désignée par la loi a été saisie de plein droit, par application de l’article 724 du Code civil, des biens de sa mère dès le décès de celle-ci, et donc de la propriété et de la jouissance de son appartement, il en résulte que sa responsabilité est engagée à raison des dommages anormaux qui ont été causés au logement voisin34.


1- CA. Lyon, 28 octobre 2004, Jurisdata, n° 2004-265075 (condamnation à 1000 euros de dommages et intérêts) ; CA. Nîmes, 8 novembre 2011, n° 10/03354 (demandes rejetées) ; CA. Grenoble, 6 janvier 2014, RG., n° 11/00920 (condamnation).

2- CA. Nancy, 5 juillet 2007, Jurisdata, n° 2007-352277.

3- CA. Colmar, 30 juin 2014, RG., 14/0566.

4- CA. Basse-Terre, 15 novembre 2010, Jurisdata n° 2010-031299 ; CA. Aix-en-Provence, 28 octobre 2011, RG. n° 2011/443 ; CA. Dijon, 6 octobre 2009, n° 08/01292 ; CA. Montpellier, 16 septembre 2014, RG., n° 13/03072.

5- La seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation : Cass. civ., 1ère, 5 novembre 1996, Bull. civ., I, n° 378, D. 1997, som., 289, obs. P. Jourdain, J.C.P., 1997, II, n° 22805, note J. Ravanas, J.C.P., éd. G., 1997, I, 4025 n° 1, obs. G. Viney.

6- CA. Montpellier, 16 septembre 2014, RG., n° 13/03072 ; CA. Douai, 3 mars 2016, RG., n° 14/06984. 

7- CA. Toulouse, 9 février 2015, RG., n° 14/00985. Voir aussi pour une condamantion : CA. Nancy, 8 janvier 2015, RG., n° 14/00443.

8- Cass. civ., 2ème, 24 mars 2016, n° 14-29.519.

9- CA. Besançon, 21 avril 2015, RG., n° 13/02300.

10- CA. Toulouse, 21 mars 2005, Jurisdata, n° 2005-281111 (condamnation à 1500 euros de dommages et intérêts).

11- C. pén., art. 222-32.

12-  CA. Grenoble, 7 avril 1997, Jurisdata, n° 1997-040472. V. aussi CA. Rennes, 4 décembre 2000, Jurisdata, n° 2000-139405.

13- CA. Paris, 31 mars 2011, Jurisdata, n° 2011-005216 ; CA. Rouen, 7 juin 2012, Jurisdata, n° 2012-013333.

14- . Fournel, op. cit., t. 2, p. 147. L’auteur cite une décision où le coupable fut condamné à la peine de flétrissure ainsi qu’à 6 ans de galère.

15- Ibid., p. 452.

16-  CA. Colmar, 15 juin 2009, Jurisdata, n° 2009-009423.

17- CA. Aix-en-Provence, 23 novembre 2004, Jurisdata, n° 2004-267115.

18- CA. 12 avril 2007, Jurisdata, n° 2007-338895.

19-  TI. Angers, 30 janvier 2007, Jurisdata, n° 2007-331288.

20- CA. Lyon, 28 septembre 2006, Jurisdata, n° 2006-318460 (condamnation à 6000 euros de dommages et intérêts).

21-  CA. Aix-en-Provence, 19 juin 2014, RG., n° 12/23879 (plainte notamment pour injure, menaces de mort, harcèlement, destruction et cruauté envers les animaux, atteinte à la dignité de la personne).

22- CA. Nîmes, 11 janvier 2005, Jurisdata, n° 2005-283599.

23- CA. Aix-en-Provence, 17 décembre 2010, RG. n° 09/09299.

24- CA. Paris, 27 mars 1995, Jurisdata, n° 1995-020960.

25- CA. Nîmes, 16 mars 1999, Jurisdata, n° 1999-030003. V. aussi l’hypothèse de celui qui organise un tapage pour effrayer le gibier de la chasse contiguë CA. Amiens, 5 février 1912, DP., 1913, 2, 177, note L. Josserand. 

26-  CA. Grenoble, 6 janvier 2014, RG., n° 11/00920.

27- CA. Douai, 30 novembre 2012, RG., n° 11/07832.

28- CA. Caen, 18 décembre 2014, RG., n° 13/02383

29- CA. Bourges, 27 octobre 2016, RG., n° 15/01497. 

30- CA. Bordeaux, 30 mai 1995, Jurisdata, n° 1995-045521 (condamnation à 31 000 francs de dommages et intérêts).

31- CA. Toulouse, 22 juin 1994, Jurisdata, n° 1994-046151 (condamnation à 15 000 francs de dommages et intérêts). V. aussi pour un autre cas : CA. Orléans,  23 septembre 2009, Jurisdata, n° 2009-020224.

32- CA. Nîmes, 9 mai 1984, Jurisdata, n° 1984-764557. V. aussi  CA. Paris, 8 novembre 2001, Jurisdata, n° 2001-157768 (information des procédures judiciaires en cours dans une copropriété) ; CA. Orléans, 10 décembre 2012, RG., n° 11/03664. V. aussi : CA. Colmar, 22 novembre 2013, RG., n° 12/00814 (condamantion à 10000 euros de dommages et intérêts).

33- TI. Saint-Etienne, 28 novembre 2000, H.L.M. Cité Nouvelle c. dame B.

34- CA. Paris, 28 janvier 2009, Jurisdata, n° 2009-374860.