Le mandat apparent en copropriété
- par Guilhem GIL - Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Le syndic engage, dans les termes des règles du mandat, le syndicat des copropriétaires vis à vis des tiers pour les actes qu’il accomplit dans le cadre de ses attributions légales dès lors qu’il a pris soin de préciser qu’il intervient ès qualités, pour le compte du syndicat. Ce dernier devient alors le débiteur direct des engagements résultant des diverses conventions conclues par le syndic avec les tiers.
Cette solution n’est que l’application la plus orthodoxe des principes du mandat conventionnel commandant que, lorsque le mandataire a traité au nom du mandant et dans la limite de ses pouvoirs, il oblige le mandant vis-à-vis des tiers comme si ce dernier avait traité lui-même. Dès lors, le représenté acquiert la qualité de créancier ou débiteur direct des tiers avec lesquels le mandataire a traité pour lui. Il peut les actionner et réciproquement être actionné par eux.
Si l’on écarte les hypothèses marginales dans lesquelles peut se poser la question de savoir si le syndic est intervenu à titre personnel ou ès qualités, dès lors que le mandataire ne s’oblige pas en exécutant son mandat, les actes qu’il aura accomplis en vertu de sa procuration vont, pour reprendre une formule imagée, «par-dessus la tête du mandataire, se réaliser dans la personne du mandant.» Enoncée depuis 1804 par l’article 1998, alinéa 1er, du Code civil en matière de mandat conventionnel, la règle a été intégrée en 2016 dans le corpus encadrant la représentation au sein de l’article 1154 qui prévoit que, lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté.
Parallèlement, les actes accomplis par un représentant en dépassement de ses pouvoirs ne sauraient engager le représenté. L’article 1998, alinéa 2, du Code civil l’énonce sans ambiguïté en disposant que le mandant n’est pas tenu de ce qui a pu être fait par le mandataire au-delà de son pouvoir, solution reprise par l’article 1156 qui affirme que l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté. Quoique n’étant pas lié par cet acte, le mandant peut, ainsi que le prévoient explicitement les textes, néanmoins se l’approprier au travers d’une ratification. Cette dernière, qui constitue une adhésion ex post facto à l’acte du mandataire, va, dès lors qu’elle est donnée sciemment et avec une exacte appréciation de ses conséquences, rendre l’acte régulier et censé avoir été fait au nom d’un mandant valablement représenté. La ratification n’ayant par essence aucun caractère obligatoire, il est indiscutable que le tiers ayant contracté avec un mandataire dépourvu de pouvoirs se trouve dans une situation des plus inconfortables en cas de refus de représenté de couvrir l’excès de pouvoir, alors même que le tiers n’était pas instruit de cette irrégularité.
Pour lui permettre de sortir de cette ornière, il est admis par le droit commun que le mandant puisse être tenu envers les tiers, même par les actes de son mandataire dépassant les limites du mandat, dès lors que les tiers avaient pu légitimement croire à ce mandat. Connue sous l’appellation de mandat apparent, cette théorie présente un cousinage avec certaines dispositions du droit du mandat, notamment l’article 2005 du Code civil prévoyant la poursuite des effets du mandat, même révoqué ou terminé, au regard des tiers non informés de son extinction ou encore l’article 2009 affirmant que, malgré la mort du mandant, les engagements contractés de bonne foi par les tiers lient les héritiers. Un mécanisme similaire se retrouve d’ailleurs ponctuellement consacré par les dispositions de l’article 18, II de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 prévoyant que si la méconnaissance par le syndic de son obligation d’ouvrir un compte bancaire séparé au nom du syndicat emporte la nullité de plein droit de son mandat, les actes qu’il a passés avec des tiers de bonne foi demeurent cependant valables.
Allant toutefois au-delà de la seule protection légale des tiers «contre les surprises nées de la cessation inopinée du mandat», la jurisprudence a, au travers du mandat apparent, mis en place un dispositif à l’empan plus large reposant sur le principe selon lequel, «en fait de mandat, croyance légitime vaut titre.» Privilégiant les intérêts du tiers de bonne foi, abusé par les circonstances ayant entouré la conclusion du contrat lui laissant penser à l’existence des pouvoirs de représentation du mandataire, la théorie du mandat apparent sacrifie par contrecoup les intérêts immédiats du représenté qui va se trouver «obligé sans l’avoir voulu.»
Cette solution est dorénavant explicitement consacrée de manière générale par l’article 1156, alinéa 1er, du Code civil qui dispose que l’acte accompli par le représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs devient opposable au représenté lorsque le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté. Durablement implantée en droit commun, cette théorie trouve des applications au sein du statut de la copropriété. Il convient donc d’en exposer les conditions (I) avant d’en envisager brièvement les effets (II).
Article paru dans les Annales des Loyers N° 04 d'avril 2022
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