Le principe de proportionnalité en droit immobilier
- par Jérôme HOCQUARD, Avocat au Barreau de Paris
-
Affichages : 2723
«La proportionnalité est incontestablement dans l’ADN des juges lorsqu’ils font descendre une loi générale, impersonnelle et absolue vers un homme en particulier, individualisé et fini.» Ainsi présenté, le principe de proportionnalité revêt une importance toute particulière dans l’appréciation du juge et constitue une norme juridique.
Le principe de proportionnalité peut être défini comme la compatibilité d’une règle de droit interne avec les droits fondamentaux ayant une valeur supranationale par l’application des traités internationaux ratifiés par la France. Concrètement, le juge français doit vérifier que l’application qu’il fait d’une règle de droit ne porte pas atteinte à une liberté fondamentale, et, si une telle atteinte devait être constatée, qu’elle ne soit pas disproportionnée, c’est-à-dire qu’elle satisfasse à «une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité» :
• L’atteinte doit être adéquate, c’est-à-dire qu’elle doit permettre la réalisation du but recherché par son auteur ;
• L’atteinte doit être nécessaire, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas excéder ce qu’exige la réalisation du but poursuivi, et d’autres moyens moins préjudiciables ne devant pas être à la disposition du juge ;
• L’atteinte doit, enfin, être équilibrée, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas, par les contraintes qu’elle engendre, être hors de proportion avec le résultat recherché.
La proportionnalité est présente en droit français de longue date, tant dans les écrits des philosophes ayant inspiré l’architecture des principes généraux de notre droit, tels Beccaria ou Aristote, que dans les attributs de la justice représentée par une balance.
Le principe de proportionnalité se retrouve ainsi dès l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires.
De nos jours, le droit positif français assure un contrôle de proportionnalité sous l’angle des droits et libertés fondamentales définis par les traités internationaux et européens ratifiés par la France, et notamment la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Cour de cassation a posé le principe de l’autorité immédiate des décisions de la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) : «les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation».
La jurisprudence européenne constitue ainsi une source directe du droit qui invite le juge français à modifier sa jurisprudence.
Bertrand Louvel, alors premier Président de la Cour de cassation, relève même que la jurisprudence de la CEDH bouleversait l’économie du pourvoi, dans la mesure où cette juridiction exerce un contrôle de proportionnalité sur les arrêts rendus par la Cour de cassation ; contrôle que la CEDH aborde en droit, mais aussi en fait.
Le contrôle de proportionnalité est exercé par les juridictions du fond, sous le contrôle des cours suprêmes, elle-même contrôlées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Le contrôle de proportionnalité ne concerne que les droits dits «relatifs», dont la structure est constituée par l’affirmation du droit, puis par une réserve explicite (par exemple, les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention) ou implicite (par exemple, l’article 6 de la Convention), contrairement aux droits qualifiés d’«absolus», lesquels ne laissent place à aucune proportionnalité puisque, les concernant, le juge doit se borner à rechercher l’existence ou non d’une atteinte (droit à la vie protégée par l’article 2 de la Convention, prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants de l’article 3, ...).
Appliquée au droit immobilier, le principe de proportionnalité a déjà donné lieu à un contrôle : la Cour de cassation a rappelé que le droit de propriété ayant un caractère absolu, toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d’obtenir en référé l’expulsion des occupants qui ne peut être considéré comme un moyen disproportionné.
La Cour de cassation a ainsi contrôlé la proportionnalité de la sanction prononcée par le juge du fond ordonnant une expulsion locative en considération du droit au respect de la vie privée prévu à l’article 8 de la Convention Européenne des Droit de l’Homme.
Le droit immobilier est donc l’un des «terrains de jeu» des juges qui contrôlent la proportionnalité des règles le régissant avec les droits fondamentaux.
Si la Cour de cassation a écarté avec fermeté tout contrôle de proportionnalité dans plusieurs matières, tels les troubles anormaux du voisinage ou encore les saisies immobilières, le principe de proportionnalité est régulièrement invoqué en matière d’empiétement (I), d’expulsion (II) et d’expropriation (III).
Article paru dans les Annales des Loyers N° 10 d'octobre 2021
Acheter cette chronique en version PDF
pour 19,99 € seulement sur edilaix.com