Parties communes et charges spéciales
- par Guilhem GIL - Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Défendant le principe selon lequel l’immeuble soumis au régime de la copropriété est «une entité unique, un tout cohérent, entièrement mis au service de la bonne utilisation des locaux privés», un auteur éminent mettait en garde contre toute entreprise visant à «dissocier inutilement les différentes parties de l’immeuble, leur intimité ne [pouvant] être rompue sans dommage et sans absurdité.» Pourtant, au-delà de la fondamentale distinction entre parties communes et parties privatives, le statut de la copropriété a toujours admis que cette division initiale puisse faire l’objet de divisions complémentaires affectant notamment les parties communes, celles étant communes à tous devant être distinguées de celles n’étant communes qu’à quelques uns.
Reconnues, en effet, à mots couverts par la rédaction originelle des articles 3 et 4 de la loi du 10 juillet 1965 admettant que certaines parties de l’immeuble puissent être affectées à l’usage ou l’utilité non seulement de tous les copropriétaires mais encore de plusieurs d’entre eux dont elles constitueraient la propriété indivise, les parties communes spéciales ont vu leur existence explicitement consacrée par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite loi ELAN. Cette dernière a inséré au sein du statut de la copropriété un nouvel article 6-2 disposant, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, que les parties communes spéciales sont celles affectées à l’usage ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires dont elles sont la propriété indivise.
Cette consécration légale ne saurait surprendre tant est évident l’intérêt pratique que présentent les parties communes spéciales. En permettant, sans avoir à se soumettre aux contraintes entourant la création d’un syndicat secondaire, d’introduire un certain degré de décentralisation dans l’administration du syndicat, elles répondent, en effet, à deux préoccupations essentielles des copropriétaires. D’une part, la possibilité pour les titulaires de lots composant un sous-ensemble jouissant d’une certaine autonomie de décider seuls des questions intéressant cette entité, sans interférence des autres copropriétaires. D’autre part, la faculté de regrouper, par unité de répartition, les seuls copropriétaires concernés par certaines dépenses déterminées qui prendront la forme de charges spéciales.
Ainsi, dans une résidence composée de bâtiments indépendants, le recours à une subdivision des parties communes permet, pour des considération de logique et d’équité, d’opérer une différenciation entre, d’un côté, les parties communes générales présentant un même degré d’utilité pour tous les copropriétaires (sol, voies d’accès et de circulation, espaces verts, canalisations et réseaux desservant l’intégralité des bâtiments) et, d’un autre côté, les parties communes spéciales propres à chaque bâtiment car ne présentant aucune utilité ni potentialité d’usage pour les lots situés dans les autres immeubles (gros œuvre de chaque bâtiment et éléments d’équipement communs propres).Grâce à une telle démarche, les décisions afférentes à ces éléments ne seront plus prises par l’ensemble des copropriétaires tenus de contribuer indifféremment à l’entretien de n’importe quel bâtiment mais seront au contraire placées entre les mains de groupes de copropriétaires réunis par édifice et n’assumant, en sus des charges afférentes aux parties communes demeurées générales, que les charges propres à leur bâtiment. Une démarche identique peut tout aussi utilement être mise en œuvre au sein d’un bâtiment unique lorsque certaines fractions de celui-ci ne présentent d’intérêt que pour un nombre restreint de lots (voies de circulation propres à chaque cage d’escalier, ascenseur ne desservant que certains lots, etc.). Selon les besoins propres de chaque syndicat, il est donc loisible d’établir une distinction entre les parties communes générales à tous les copropriétaires, les parties communes spéciales à chaque bâtiment et les parties communes spéciales à certains lots.
Cet intérêt pratique des parties communes spéciales explique la bienveillance avec laquelle les tribunaux avaient accueilli cette institution dont le régime a été réformé par la loi ELAN qui est venu encadrer essentiellement la création des parties communes spéciales (I) et accessoirement leur administration (II).
Article paru dans les Annales des Loyers N° 03 de mars 2021
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