Contrat de prestations de services et conflits d’intérêt

par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit
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L’article 16 de l’ordonnance du 30 octobre 2019, modifiant l’article 18-1 A de la loi du 10 juillet 1965, a permis de rappeler que le forfait prévu au contrat-type de syndic ne rémunère que les prestations réalisées par celui-ci ès qualité. C’est-à-dire que, a contrario, si ce dernier venait à proposer au syndicat des copropriétaires des prestations d’une autre nature que celles relevant de ses fonctions, il pourrait alors percevoir une rémunération à ce titre, comme tout prestataire du syndicat. Cette possibilité est néanmoins source de conflits d’intérêts et l’article 18-1 A a été en conséquence était modifié pour mieux les prévenir.

Cette situation, qui se caractérise principalement pour l’avocat par des divergences d’intérêts entre les personnes représentées, consiste plus particulièrement pour les agents immobiliers, administrateurs de biens et les syndics en un risque de divergence des intérêts avec la personne qu’ils représentent. Le conflit d’intérêts peut alors se définir comme la potentialité de l’agissement sans pouvoir ou par détournement de pouvoir au sens de l’article 1157 du Code civil, c’est-à-dire dans l’intérêt du représentant et au détriment du représenté ; ce qui caractérise une atteinte au devoir de loyauté et d’impartialité du représentant. C’est en raison de cette potentialité, et non d’une quelconque certitude de réalisation, qu’existent dans la plupart des hypothèses de représentation des mécanismes de prévention et non d’interdiction.

En droit de la copropriété, l’appréhension de cette situation n’est pas nouvelle et les mécanismes de prévention sont anciens. En effet, l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 imposait au syndic depuis la loi ALUR de soumettre à l’autorisation de l’assemblée générale prise à la majorité de l’article 24 toute convention passée entre le syndicat et le syndic ou une personne ou une entreprise qui lui est liée directement ou indirectement. Surtout, cette procédure préexistait à l’article 39 du décret du 17 mars 1967, depuis l’origine du texte. Était en effet imposée par celui-ci une procédure d’autorisation spéciale avant toute conclusion d’une convention entre le syndic, ses «familiers» ou préposés et le syndicat des copropriétaires. Le texte avait déjà évolué, depuis 1967, pour d’une part, modifier son champ d’application en 2004, puis tout récemment en 2020 et, d’autre part, imposer que soient révélés au syndicat les liens qui justifient la mise en œuvre de cette procédure en 2010. Cette dernière obligation d’information sur les liens entre le syndic et le pollicitant, avait toutefois été imposée dès 2002 par les articles 4-1 de la loi Hoguet et 95-2 de son décret d’application, aux professionnels assujettis au respect des dispositions de ce texte. Pour eux, l’infraction à ce devoir d’information pouvait faire l’objet d’une rigoureuse sanction puisque l’article 14 de la même loi prévoyait, et prévoit encore, une peine de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. Il faut également relever que dans le cas particulier des résidences-services, la dérogation à l’interdiction de principe disparaît. L’article 41-6 de la loi du 10 juillet 1965 interdit au syndic ou à ses proches de conclure un contrat de prestation de services individualisables et non individualisables. La présomption du conflit d’intérêts paraît ici irréfragable, de sorte qu’il faut empêcher sa réalisation. Enfin, le «Code de déontologie» des agents immobiliers, administrateurs de biens et syndics de copropriété, promulgué en 2015, rappelle les obligations précitées, en son article 9, 4° et 5°, d’information et d’autorisation préalable afin de lutter contre les conflits d’intérêts. Cette disposition va d’ailleurs plus loin en matière d’information que celle de la loi Hoguet puisqu’elle vise non pas une liste déterminée de personnes mais, plus généralement toutes les personnes avec qui un lien direct ou indirect ferait exister un intérêt personnel dans l’exécution de leur mission. Les professionnels doivent en conséquence, par application de ce principe, solliciter une autorisation spéciale afin de passer un contrat avec certains pollicitants mais plus généralement, informer le syndicat, de tout intérêt personnel résultant d’un lien direct ou indirect avec le prestataire proposé.

 

La coexistence dans les textes anciens de ces obligations d’information et d’autorisation préalable signifie que le syndic, ou une entreprise à laquelle il était liée, pouvait donc déjà conclure, de longue date, une convention avec le syndicat des copropriétaires pour des prestations autres que celles du syndic agissant ès qualité. Il le pouvait à la condition de respecter les procédures énumérées précédemment. La Cour de cassation l’avait d’ailleurs indiqué de manière limpide : «en statuant ainsi, alors qu’un syndicat représenté par son syndic peut conclure une convention avec une société dont ce syndic est le gérant, la cour d’appel a violé les textes susvisés».

C’est pourquoi l’ordonnance du 30 octobre 2019 n’a pas concédé un droit nouveau au syndic mais a simplement clarifié et donné une certaine publicité à une procédure de lutte contre les conflits d’intérêts trop méconnue. En application de ce texte, qui reprend les orientations des précédents, le syndic est - par principe - interdit de conclure toute convention avec lui-même ou certaines personnes. Il est néanmoins fait exception à ce principe en cas d’accord préalable du représenté et il est fait distinction entre deux situations que nous envisagerons successivement. Nous étudierons d’abord - rapidement car elle est connue et ancienne - la procédure d’autorisation visant à prévenir les risques de conflits d’intérêts résultant d’une éventuelle convention entre le syndicat et certains tiers auxquels le syndic est lié (I). Puis, de manière plus spécifique, nous verrons que le gouvernement a transcrit et aménagé le mécanisme de l’article 1161 du Code civil dans le cas du «contrat conclu avec soi-même», afin de mieux le distinguer de l’hypothèse précédente. C’est ainsi qu’une autorisation spéciale, désormais prévue par la loi du 10 juillet 1965, est le préalable nécessaire à la conclusion d’un «contrat de prestations de services», situation spécifiquement nommée de risque de conflit d’intérêts, proposé au syndicat par le syndic n’agissant pas ès qualité au nom du syndicat des copropriétaires (II). Nous verrons, enfin, que la sanction en cas de conclusion de l’une ou l’autre convention en méconnaissance de ces procédures est identique et diffère de celle prévue par le Code civil : l’inopposabilité au syndicat de la convention conclue et non sa nullité (III).

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