Open Data et droit immobilier

par Olivier BEDDELEEM - Professeur adjoint, EDHEC Business School
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Le développement de l’informatique et des nouvelles technologies permet un accès de plus en plus étendu à l’information. Le gouvernement joue le jeu et rend disponible de plus en plus d’informations qui vont faciliter, mais aussi transformer les métiers de l’immobilier ainsi que l’activité des juristes intéressés par les matières immobilières.


I.- L’open data des données immobilières

 

Le gouvernement rend accessible de plus en plus de données. Elles sont notamment regroupées sur le site data.gouv.fr. Il mettait ainsi récemment à disposition un tableau relatif au coût de construction de maisons neuves en France qui permet de déterminer le prix moyen au m2 de la construction d’une maison neuve par région (de 1 199 euros/m2 en Centre-Val de Loire à 1 648 euros/m2 en Corse) mais également la répartition en fonction du type de constructeur et la surface moyenne. Il publiait aussi, par exemple, l’inventaire immobilier de l’Etat, les prix de l’immobilier à Paris depuis 1200, une analyse statistique sur la relation des ménages à leur logement, etc.

 

Un article de Claire Juillard recensait plusieurs d’acteurs collecteurs en France de données de prix et de loyers. Cinq acteurs publics : Sitadel2 pour les prix de constructions neuves, DVF et Ecln pour les prix dans l’ancien, l’observatoire des loyers et l’OPAL pour les loyers. Une dizaine d’acteurs privés : Explore pour le neuf, la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), GRECAM, Adéquation, CAPEM, CECIM, bs Immo de la Cote d’Azur, OIP qui regroupent des prix de vente dans le neuf et l’ancien, LPI-Seloger, les bases notariales Bien et Perval pour des prix dans l’ancien, Clameur pour les loyers, MeilleursAgents, la FNAIM et Yanport qui regroupent des données de prix dans l’ancien et de loyers. Comme le remarquait cet auteur, Leboncoin, pourtant acteur majeur de la publicité immobilière, ne traite pas les données de prix de vente et de location qu’il collecte.

Des acteurs de la Proptech se développent dans l’immobilier. Ainsi, Yanport, créé en 2014, «poursuit l’objectif de centraliser, consolider, et exploiter les données commerciales disponibles de l’immobilier résidentiel» et «propose des informations objectives et indépendantes aux professionnels de l’immobilier grâce à l’analyse des données commerciales disponibles sur les principaux portails immobiliers». Une information qui permet de déterminer les prix des biens mais aussi d’assurer une veille concurrentielle qui permet de «surveiller les performances de votre réseau par rapport à vos compétiteurs, ouvrir une agence, créer une franchise, racheter un concurrent». 

Depuis 2014, le service PATRIM usagers permet à chaque contribuable, muni de ses identifiants fiscaux, de connaître le prix des transactions à proximité de ses biens.

Le mouvement s’est amplifié en 2019 avec la mise à disposition de la base DVF mise en place par le décret n° 2018-1350 du 28 décembre 2018 relatif à la publication sous forme électronique des informations portant sur les valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations immobilières. Selon ce décret, «l’administration fiscale met gratuitement à disposition du public les informations mentionnées ci-après relatives aux ventes, adjudications, expropriations et aux échanges de biens immobiliers publiés au fichier immobilier au cours des cinq dernières années, issues des traitements informatisés relatifs à la publicité foncière et à la documentation littérale du cadastre».

Pour chaque mutation, l’administration publie plusieurs éléments d’information : la date et la nature de la mutation, le prix, l’adresse, les références cadastrales et notamment, si le bien objet de la mutation fait partie d’une copropriété, le nombre de lots et le numéro de lot dans la limite de cinq lots par mutation, ainsi que le descriptif du bien dès lors qu’il a été déclaré à l’administration (surface Carrez, surface réelle type de local, nombre de pièces principales, surface du terrain, et, pour les terrains non bâtis, nature de culture et nature de culture spéciale).

Un moteur de recherche mis à disposition par le gouvernement permet ainsi de sélectionner un département, une commune, une section cadastrale, une parcelle cadastrale, et d’obtenir l’ensemble des mutations réalisées dans les cinq dernières années.

Le nouvel article R. 112 A-2 du Livre des procédures fiscales ajoute que ces informations sont mises à disposition du public sous la forme d’un fichier dans un format standard, pouvant faire l’objet d’un téléchargement et font l’objet d’une mise à jour semestrielle. Il est ainsi possible à tout citoyen ou acteur du marché de disposer de ces informations qualifiées et d’avoir une vue de l’ensemble des transactions réalisées sur le secteur.

Ces données sont ainsi utilisées par des éditeurs qui permettent, tel le site Immo-Data, par la simple saisie de l’adresse, d’avoir accès à une carte interactive qui répertorie l’ensemble des transactions réalisées à proximité d’un bien, avec des informations basiques en version gratuite et des informations étendues en version premium.

 

A.- La protection de la vie privée

L’État, comme les citoyens, doit assurer le respect des données personnelles des citoyens. La liste des informations communiquées est ainsi anonymisée, ce qui permet une conformité au Règlement général de Protection des données (RGPD). L’article R. 112 A-3 renforce cette protection en prévoyant que les conditions générales d’utilisation des informations prévoient, d’une part, que les traitements portant sur la réutilisation de ces informations ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées et, d’autre part, que ces informations ne peuvent faire l’objet d’une indexation sur les moteurs de recherche en ligne. 

 

B.- Des informations limitées et qui nécessitent l’expertise de l’agent immobilier

Il ne fait pas de doute que la mise à disposition des informations en open data facilitera et transformera le travail des acteurs de l’immobilier, qui pourront disposer d’un nombre important d’informations pour déterminer le prix des biens.

Toutefois, il existe des limites.

Premièrement, le nombre d’informations est restreint.

Deuxièmement, l’échantillon est lui aussi réduit aux seules transactions intervenues dans les cinq dernières années. Dans un secteur qui a fait l’objet de peu de transactions, cela peut se révéler insuffisant. Le fait que les transactions interviennent à des dates différentes peut aussi impacter la possibilité de comparer ces informations. 

Troisièmement, les données immobilières ne sont disponibles qu’après l’enregistrement de la vente. Il peut ainsi se passer plusieurs mois entre la date de la transaction et celle à laquelle l’information sera accessible. Or, le marché immobilier est mouvant. Le prix en février, où peu d’acheteurs recherchent un logement, n’est pas le même qu’en juin où de nombreux logements ont été vendus mais les acheteurs mutés ou embauchés recherchent activement un logement. De même, les loyers ne seront pas nécessairement les mêmes en juin, quand nombre d’étudiants recherchent logement, et en novembre, où il devient difficile de trouver un locataire. Bien entendu, des éléments conjoncturels peuvent également impacter ces prix.

Par ailleurs, chaque bien est unique. Souvent, le prix d’un bien ne dépend pas uniquement d’une valeur au m2.

Les raisons de la transaction ne sont pas non plus indiquées.

On peut prendre quelques exemples pour se convaincre du fait qu’un seul traitement statistique est insuffisant pour déterminer le prix d’un bien.

En région parisienne, 12 rue Fernand Pelloutier à Clichy. Trois transactions ont eu lieu dans les cinq dernières années au n° 14 : Un appartement d’une pièce et 21m2 vendu en 2017 à 5 857 euros le m2. Un autre de la même taille, vendu lui aussi en 2017 à 6 667 euros le m2, un troisième de 20m2 vendu en 2014 à 7 410 euros le m2. Au n° 12 de la rue, onze transactions sont intervenues pour des prix au m2 compris entre 2 381 euros le m2 et 8 913 euros le m2 pour des studios ou appartements de petite taille. La seule analyse statistique du prix au m2 ne pourrait donc pas suffire.

Au 54 rue Casimir Périer à Nantes, on aboutira à des conclusions comparables pour le prix de maisons. La maison du n° 54, de douze pièces et 276 m2 sur un terrain de 828 m2, s’est vendue en 2015 pour 850 000 euros, soit 3 080 euros le m2. Celle du n° 58, de quatre pièces et 92 m2 sur un terrain de 88 m2, était vendue 515 000 euros soit 5 598 euros le m2 en 2018. Au n° 60, une maison de 174 m2 sur un terrain de 120 000 m2 était vendue en 2018 pour 425 500 euros soit 3 546 euros le m2. Au n° 50, une maison de six pièces et 287 m2 sur 130 000 m2 de terrain était vendue en 2019 pour 600 000 euros, soit 4 615 euros le m2.

Il n’en reste pas moins que l’accès aux données des prix de vente des biens sera d’une richesse inestimable si l’agent immobilier sait utiliser ces informations. Il est d’usage de dire qu’en moyenne, en France, un bien est revendu au bout de sept ans. Comme le montre l’exemple nantais, la plupart des maisons situées à proximité immédiate du 54 rue Casimir Périer à Nantes ont été vendues les années précédentes. Par la seule consultation du fichier DVF, l’agent immobilier disposera ainsi des prix de vente d’un grand nombre de biens dans le voisinage immédiat. Il pourra, sur la base de ces prix «réels», de son expertise et de sa connaissance du marché, adapter son estimation pour fournir à son client une évaluation fiable. Bien entendu, ce privilège n’est pas réservé à l’agent immobilier. Le propriétaire vendeur disposera également de cette information, tout comme le candidat acquéreur qui pourra se faire une idée plus précise de la valeur du bien qu’il convoite par la comparaison aux transactions réalisées dans le secteur sur des biens comparables.

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