Aucune disposition légale n’impose au bailleur de dénoncer le commandement de payer visant la clause résolutoire aux créanciers inscrits. Le commandement de payer et l’assignation en référé visant des loyers échus après le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, les dispositions de l’article L. 622-23 du Code de commerce n’étaient pas applicables.
Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 15-29.206, publié au bulletin.
Il ne se passe décidemment pas une année sans que la Cour de cassation soit interrogée sur les règles à respecter par un bailleur poursuivant la résiliation du bail le liant à son locataire en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires. Les circonstances dans lesquelles la troisième chambre civile a été saisie peuvent ainsi être résumées. Le 9 septembre 2014, une société bailleresse a délivré à la société locataire en redressement judiciaire un commandement, visant la clause résolutoire, de payer les loyers. Le 15 octobre 2014, elle l’a assignée en référé en acquisition de la clause résolutoire et en paiement d’une provision et d’une indemnité d’occupation. Les juges ont constaté la résiliation du bail de plein droit à la date du 9 octobre 2014, ordonné l’expulsion du locataire, et l’ont condamné au paiement d’une provision et d’une indemnité d’occupation. Le locataire a alors reproché au bailleur de ne pas avoir dénoncé le commandement de payer aux créanciers antérieurement inscrits et de ne pas avoir mis en cause le mandataire judiciaire pour poursuivre l’action en résiliation du bail. Aucun de ces arguments n’est reçu par la Cour qui dispense le bailleur de notification du commandement de payer aux créanciers inscrits et de mise en cause du mandataire judiciaire.
Sur la notification aux créanciers inscrits.- «Aucune disposition légale n’impose au bailleur de dénoncer le commandement de payer visant la clause résolutoire aux créanciers inscrits». Il faut revenir sur la lettre du texte pour comprendre l’affirmation de la Cour. L’article L. 143-2 du Code de commerce exige du propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel est exploité un fonds de commerce grevé d’inscriptions, qu’il notifie sa demande aux créanciers antérieurement inscrits. Le texte s’applique tant à la résiliation de plein droit par l’effet d’une clause résolutoire1 qu’à la résiliation judiciaire et amiable. En présence d’un locataire en redressement judiciaire, le texte continue à s’appliquer que la demande de constatation de la résiliation ou de prononcé de la résiliation soit faite avant2 comme après le jugement d’ouverture. La jurisprudence n’est pas forcément très homogène en la matière mais la prudence commande d’appliquer le texte. Le fait que le locataire soit en procédure collective n’excluant pas l’application du droit des baux (V. infra). Même s’ils ne sont pas nécessairement en mesure de réagir à cette notification, les créanciers méritent d’être informés du risque de perte de leur garantie.
En dehors de l’hypothèse de la résiliation amiable, la résiliation suppose la saisine d’un juge et donc une demande en justice. Sur ce fondement, les juges ont déjà déclaré le texte inapplicable à la mise en demeure du bailleur à l’administrateur d’une procédure de redressement judiciaire d’exercer l’option prévue par l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 (devenu l’article L. 622-13 du Code de commerce)3. Or, la délivrance par le bailleur d’un commandement visant la clause résolutoire, ne constitue pas une demande en justice4.
La solution aujourd’hui proposée permet d’éclairer le parcours à suivre par le bailleur lorsqu’il entend faire constater la résiliation du bail contre son locataire en procédure collective.
Il doit donc commencer par délivrer un commandement de payer. Même si l’article L. 622-14 du Code de commerce ne le lui impose pas, le respect de cette formalité est indispensable, les juges faisant une application cumulative des dispositions du Livre I et du Livre VI du Code de commerce5. On notera qu’en l’espèce, le commandement visait à la fois des loyers dus avant le jugement d’ouverture et des loyers dus après. Or, on sait qu’un cocontractant ne peut pas demander la résiliation du contrat en invoquant l’inexécution d’une obligation de payer antérieure au jugement. Cela dit, la mauvaise rédaction de la clause n’entraîne pas l’irrégularité du commandement dès lors que le délai de carence a été respecté6.
Le commandement de payer n’aura donc pas à être notifié aux créanciers inscrits. La notification ne s’imposera que lorsque le bailleur saisira le juge en vue de la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire.
Sur la saisine du juge.- Le bailleur saisira le juge-commissaire s’il fonde sa demande sur l’article L. 622-147. S’il se prévaut de la clause résolutoire, il bénéficiera d’une option de compétence entre le juge-commissaire et le juge des référés8.
Si sa demande de résiliation est motivée par le non-paiement des loyers afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur est-il tenu de mettre en cause le mandataire judiciaire ? Le locataire dénonçait, en l’espèce, l’irrégularité de la procédure, le bailleur n’ayant pas mis en cause le mandataire judiciaire. On rappelle que l’article L. 622-23 du Code de commerce prévoit les modalités de poursuite au cours de la période d’observation des actions et procédure en cours au jour du jugement d’ouverture, en les subordonnant à la «mise en cause du mandataire judiciaire et de l’administrateur lorsqu’il a une mission d’assistance ou après une reprise d’instance à leur initiative».
C’était confondre, et la Cour le rappelle, les actions introduites avant le jugement d’ouverture et celles introduites après. L’article L. 622-23 n’est applicable qu’aux premières. Pour «le commandement de payer et l’assignation en référé visant des loyers échus après le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, … les dispositions de l’article L. 622-23 du code de commerce n’étaient pas applicables». Il est imposé au bailleur que le respect d’un délai de carence de trois mois à compter du jugement d’ouverture. Ce délai n’étant applicable qu’à la délivrance de l’acte introductif d’instance, et non à la délivrance du commandement de payer visant clause résolutoire, le commandement peut être envoyé à l’issue d’un délai de deux mois après le jugement d’ouverture9.
Il faut rappeler pour terminer que l’article L. 622-14 n’interdit pas au locataire (ou au liquidateur) de se prévaloir des dispositions de l’article L. 145-41 et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire10.
1- Cass. civ. 23 janv. 1932, DP 1933. 1. 39, note Lalou ; Cass. civ. 12 janv. 1944, S. 1944. 1. p. 120, JCP, éd., N, 1944. II. 2748, note Boré ; Cass. com. 6 nov. 1961, Gaz. Pal. 1962. 1. 132 ; Cass. 3e civ. 21 juill. 1975, JCP 1977. II. 18545, note Boccara, RTD com. 1977. 81, obs. Jauffret ; Cass. 3e civ., 13 avr. 1976, JCP 1977. II. 18546, note Boccara ; Cass. 3e civ., 16 févr. 1982, Rev. loyers 1982. p. 191, note Viatte, JCP 1983. II. 19934, note Boccara, RTD com. 1983. 221, obs. J. Derruppé ; Cass. 3e civ., 27 juin 1990, D. 1990. IR 200 ; Cass. 3e civ. 22 mars 2006, D. 2006. p. 1044, obs.
Y. Rouquet, JCP, éd. E, 2006. 907, obs. Monéger, JCP, éd. E, 2006, 1313, note Pereira, RJDA 2006, n° 628, Defrénois 2006, p. 1409, obs. Ruet, Loyers et copr. 2006, n° 106, obs. Pereira, Administrer oct. 2006, p. 49, note Barbier, Rev. loyers 2006, p. 276, note Prigent.
2- Cass. 3e civ., 22 janv. 1997, Rev. loyers 1997, p. 254, note Ch.-H. Gallet.
3- Cass. com., 11 déc. 1990, JCP, éd. E, 1991. I. 46, n° 20, obs. M. Cabrillac ; CA Paris, 28 juin 1991, D. 1992. Somm. 261, obs. F. Derrida ; CA Paris 26 nov. 2003, Loyers et copr. 2004, n° 112, obs. Brault.
4- Cass. 3e civ., 3 oct. 2007, D. 2007, AJ p. 2676, obs. Mbotaingar, JCP, éd. E, 2008, n° 31-34, p. 13, note Brault, RJDA 2007, n° 1196, Loyers et copr. 2008, n° 132, obs. Brault, Rev. loyers 2007, p. 506, note Prigent, Administrer déc. 2007, p. 83, obs. Lipman-W. Boccara.
5- Les dispositions de l’article L. 622-14 du Code de commerce ne dérogent pas aux dispositions de l’article L. 145-41 prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable d’un commandement : Cass. com., 28 juin 2011, D. 2011. Actu. 1895, Gaz. Pal. 7-8 oct. 2011, p. 26, obs. F. Kendérian, RJDA 2011, n° 1057.
6- Cass. 3e civ. 16 juin 2004, AJDI 2005, p. 132, obs. P.-M. Le Corre, JCP, éd. E, 2005, n° 37, p. 863, obs. J. Monéger.
7- Art. R. 622-13, al. 2, C. com.
8- Cass. com., 10 juill. 2001, D. 2001, AJ 2830, obs. A. Lienhard, JCP, éd. E, 2002. chron. 175, n° 14, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll. 2001, n° 177, obs. C. Régnaut-Moutier : «la compétence donnée au juge-commissaire (…) pour constater la résiliation de plein droit des contrats poursuivis après l’ouverture de la procédure collective n’exclut pas la compétence du juge des référés appelé à statuer en application de la clause résolutoire insérée au bail et de l’article 25 du décret du 30 septembre 1953» (devenu art. L. 145-41, C. com.).
9- CA Paris, 14e ch. B, 19 déc. 2003, RG n° 02/18466 ; CA Dijon, 10 avr. 2014, n° 13/00777, Leden juill. 2014, p. 6, obs. F. Kendérian.
10- Cass. com., 6 déc. 2011, D. 2012. Actu. 6, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2012. 1209, note F. Kendérian, JCP éd. E, 1227, n° 11, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll. 2012, n° 10, obs. J. Vallansan, RJDA 2012, n° 319, RLDA mars 2012, p. 19, obs. Vercken, Bull. Joly Entrep. diff. 2012, p. 155, note Benilsi, LPA 12 juill. 2012, note Kuntz et Nurit, Rev. proc. coll. 2012, n° 130, obs. Ph. Roussel Galle, Defrénois 2012, p. 1020, obs. F. Vauvillé.