Les charges récupérables doivent être expressément prévues

par Bastien BRIGNON,Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille - Avocat
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L'essentiel

Article paru dans les Annales des Loyers N° 07-08 de juillet-août 2024

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Aux termes de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Pour rejeter la demande de la locataire en restitution de charges, l’arrêt énonce que les frais de dératisation, de désinfection, de câblage, de maintien en fonction des ascenseurs et la taxe de voirie ont été mis à la charge de la locataire au titre de sa quote-part des charges de l’immeuble. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sommes contestées par la locataire avaient été mises à sa charge par une stipulation expresse du contrat de bail, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Cass. 3e civ, 30 mai 2024, n° 22-22.981, F-D

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Le commentaire

L’arrêt du 30 mai 2024 n’est pas publié au bulletin. Il n’en demeure pas moins intéressant en ce qu’il rappelle que le propriétaire ne peut plus aujourd’hui mettre à la charge du preneur à bail commercial des charges qui n’ont pas été expressément prévues par les stipulations contractuelles. Pour le dire autrement, une référence générale au titre de la quote-part du locataire des charges de l’immeuble ne suffit plus à lui faire supporter, par exemple, les frais de dératisation, de désinfection, de câblage, de maintien en fonction des ascenseurs et la taxe de voirie en l’absence de disposition expresse et quoique lesdits frais apparaissent sur les relevés versés. Dans ces conditions, le preneur est parfaitement fondé à réclamer à son bailleur le remboursement de ces frais.

 

En l’espèce, il s’agissait d’un bail commercial à usage exclusif de bureaux consenti à une SCP devenue ensuite une SELARL. De toute évidence, le bail était pro bailleur : il comportait une clause d’indexation du loyer ne jouant qu’en cas de hausse de l’indice de référence, clause réputée non écrite par les juges ; il comportait également, au titre des charges, une clause générale mettant à la charge du preneur, au titre donc des charges récupérables, tout ce qui relève de l’entretien en bon état des réparations locatives, réfection importante nécessaire par une usure anormale manifestée causée par l’activité du preneur, ainsi que la quote-part des contributions, taxes et charges, avec une provision trimestrielle fixée à un montant forfaitaire. Le contrat comportait en outre une clause pénale aux termes de laquelle le bailleur avait droit au paiement d’un intérêt défini à l’article relatif au loyer si les comptes entre les parties faisaient apparaître que le loyer et ses accessoires n’avaient pas été réglés à bonne date par la locataire.

 

Sur ce dernier point, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, qu’on lira avec attention car il est riche de détails, avait confirmé le jugement de première instance qui avait estimé que le bailleur avait parfaitement droit à cet intérêt en raison du retard mis par le locataire à régler son loyer et ses charges, mais sans énoncer aucun motif. La censure était inévitable, sur le fondement de l’article 455 du Code de procédure civile selon lequel tout jugement doit être motivé ; le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs. En ne répondant pas aux conclusions de la locataire selon lesquelles le taux d’intérêt contractuellement prévu constituait une clause pénale dont le montant devait être réduit, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte précité pour la Cour de cassation.

Plus intéressant est le sujet des charges récupérables, étant précisé que nous ne traiterons pas ici de celui de la clause d’indexation qui ne prévoyait qu’une variation à la hausse et qui a, sans surprise, été jugée illégale. 

 

S’agissant des charges récupérables, le bailleur avait donc fait supporter au preneur des frais de dératisation, de désinfection, de câblage, de maintien en fonction des ascenseurs et la taxe de voirie au seul motif que le contrat de bail commercial mettait à la charge du preneur, certes à plusieurs endroits dudit contrat (dans une clause «relative à l’entretien en bon état des réparations locatives, réfection importante nécessaire par une usure anormale manifestée causée par l’activité du preneur» et une autre relative «à la quote-part des contributions, taxes et charges»), mais de manière générale, des charges au titre de sa quote-part des charges de l’immeuble. En raison de cette absence d’explicite, la locataire avait demandé le remboursement desdits frais, ce qui lui a été refusé par les juges du fond, ces derniers jugeant que ces frais lui incombaient au titre de sa quote-part des charges de l’immeuble.

Ici aussi, la censure était inévitable : sur le fondement de l’ancien article 1134 alinéa 1er du Code civil, la Cour de cassation considère, qu’«en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sommes contestées par la locataire avaient été mises à sa charge par une stipulation expresse du contrat de bail, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision».

L’article L. 145-40-2 du Code de commerce, d’ordre public, issu de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 dite Pinel, dont on fête le dixième anniversaire cette année, impose «un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail». Sans qu’il soit nécessaire pour autant de vraiment tout lister, il est tout de même dorénavant impératif d’avoir cet inventaire précis et limitatif des catégories. Les mots ont leur importance : un inventaire précis et limitatif des catégories. En l’occurrence, le contrat de bail commercial ne comportait pas cet inventaire, quelle qu’en soit la forme, des catégories. Il n’y a en conséquence absolument rien d’étonnant à ce que la locataire ait demandé et obtenu le remboursement des frais de dératisation, de désinfection, de câblage, de maintien en fonction des ascenseurs et la taxe de voirie, qui, faute d’avoir été inventoriés dans le bail, ne pouvaient pas être mis à sa charge.

 

Cette solution, incontestable, tant sur le fondement de l’adage pacta sunt servanda que sur celui de la loi Pinel et le décret sur les charges, est à rapprocher d’un arrêt du 16 mai dernier ayant jugé que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne peut être mise à la charge du locataire d’un bail commercial qu’en vertu d’une clause claire et précise. Dans cette affaire, pour rejeter la demande en restitution des paiements versés au titre de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la cour d’appel avait relevé que le bail stipulait que la locataire rembourserait à la bailleresse la totalité des charges afférentes directement ou indirectement aux locaux loués et à l’immeuble pour sa quote-part de façon que le loyer soit perçu net de toutes charges. Elle en avait alors déduit que la locataire s’était engagée à rembourser toutes les charges, dont la taxe litigieuse. La Cour de cassation a censuré en toute logique l’arrêt d’appel sur ce point : en l’absence d’une stipulation claire et précise du bail commercial mettant à la charge de la locataire la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (nouvel article 1103). L’arrêt du 16 mai est rendu comme celui du 30 mai au visa de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance du 10 février 2016. Et La taxe d’enlèvement des ordures ménagères, comme toute autre taxe d’ailleurs, ne peut, pour qu’elle soit récupérable, résulter d’une interprétation implicite.

L’inventaire des catégories de charges, impôts, taxes et redevances ne saurait être interprété de manière extensive, de telle sorte que les références générales à tel ou tel frais ne permettent plus au bailleur de récupérer des charges sur les locataires.

 

Cela étant, il n’est pas non plus exigé nous semble-t-il que tout soit réellement listé, dès lors que tel ou tel poste peut se rattacher à telle ou telle catégorie, le texte d’ailleurs n’exigeant précisément que l’inventaire des catégories.

Mais il faut tout de même que les charges récupérables, pour qu’elles soient précisément récupérables, ne soient pas implicites. Le fait qu’elles soient mentionnées sur les relevés, éventuellement sur les rôles de l’administration fiscale ne suffit pas, ne suffit plus.

C’est l’enseignement de l’arrêt sous commentaire qui se place dans le sillage de la loi Pinel du 18 juin 2014 et de la jurisprudence y afférente sur cette obligation de transparence en matière de catégories de charges, impôts, taxes et redevances attachés au bail commercial.