L'essentiel
Article paru dans les Annales des Loyers N° 05 de mai 2024
Moins de rigueur, plus de pragmatisme lors de la validation judiciaire lors d’un congé-reprise pour habiter : une évolution salutaire ?
Cass., 3e civ., 12 octobre 2023, n° 22-18.580, FS+B, publié au bulletin
Le commentaire
La Cour de cassation a montré récemment une audace nouvelle pour adapter ses solutions à l’évolution de notre société. Il en est ainsi par exemple dans sa volonté d’écarter la péremption d’instance en matière civile lorsque les parties demeurent dans la longue attente d’une fixation du rôle après avoir effectué toutes les diligences leur incombant, ou en insistant sur l’obligation de stricte proportionnalité de certaines sanctions habituellement prononcées formellement et sans considération de leur caractère exagérément punitif, ou encore -en assemblée plénière- en admettant sous conditions la recevabilité de la preuve déloyale, sans compter son récent revirement en matière de vices cachés de construction.
L’arrêt commenté appartient à cette catégorie dans la mesure où, rendu dans une circonstance ordinaire, il retient une solution audacieuse mais idoine, en faisant preuve de pragmatisme quant aux conditions de validation d’un congé-reprise pour habiter du bailleur, édictées par l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989.
En effet, ce texte, rappelé formellement dans la décision, est tout à fait clair en ce qu’il impose au propriétaire décidé à reprendre le logement, de justifier son congé et à peine de nullité, d’y indiquer le motif allégué, et dans le même esprit de justifier dans l’acte du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise.
Aux fins de contrôle, le juge saisi peut même d’office vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues par celui-ci. Dès lors, on doit logiquement comprendre à première lecture que c’est dès la délivrance d’un tel congé que ce motif doit exister factuellement, et en outre qu’il doit en toute hypothèse s’appuyer ipso facto sur une motivation préexistante, que le juge doit apprécier même si le preneur n’en fait pas la demande lui-même.
En d’autres termes, et en dépit de ce que la Haute juridiction prend soin de rappeler (considérant n° 5) à savoir que cette prescription de justification du caractère réel et sérieux n’est pas édictée à peine de nullité, (ce qui en fait une simple condition de forme est-il ajouté opportunément), on pourrait penser, d’une part que la cour de cassation se réserve le contrôle de ces conditions, et d’autre part, qu’elle fait une éventuelle interprétation plutôt rigoureuse de l’obligation spécifique de motiver sur la base de circonstances préalables à l’instance, et non au moyen de preuves constituées a posteriori.
Or, il n’en est rien puisque le pourvoi articulé contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai est rejeté, au double motif (considérant n° 7) que le caractère réel et sérieux de l’intention du bailleur au jour de la délivrance du congé aux fins de reprise pour habiter en résidence principale relève de l’interprétation souveraine des juges du fond, et que «la cour d’appel pouvait tenir compte d’éléments postérieurs dès lors qu’ils étaient de nature à établir cette intention». Il apparait donc que la Cour de cassation pouvait s’en tenir à affirmer un pouvoir souverain des premiers juges, ce qui eût suffi à évacuer le recours des locataires, mais qu’elle a pris soin d’ajouter, ce qui n’était pas en soit impératif, que la justification imposée par le texte visé n’avait pas à être préalable à l’instance, mais pouvait à l’occasion de celle-ci s’appuyer sur des éléments de preuve n’existant pas au temps antérieur au congé-reprise.
Dans le cas d’espèce, les preneurs invoquaient un moyen unique faisant d’abord grief à l’arrêt d’appel de retenir que la justification du caractère réel et sérieux de la reprise est prescrite à peine de nullité par le susvisé article 15-I, objet d’un refus d’application.
Ils alléguaient ensuite que l’intention frauduleuse du bailleur voulant reprendre doit s’apprécier au moment où le congé a été délivré, étant impropre à constituer une base légale le motif de la cour d’appel retenant des faits ou actes non contemporains mais décalés d’une ou deux années. Un dernier argument reposait sur le défaut de recherche de la réalité de l’usage d’habitation principale par le bailleur, voué à l’échec dans un contexte d’appréciation souveraine.
On constate que l’arrêt commenté fait implicitement la distinction entre l’indication du motif dans le congé, seul à être prescrit «à peine de nullité» (avec l’indication du bénéficiaire de la reprise), et la réalité de ce motif relevant par essence de l’échange de pièces probantes dans la phase judiciaire de contestation du congé, ou de l’initiative du juge, même proprio motu.
Ensuite, l’arrêt commenté détaille surabondamment les motifs propres et adoptés pour établir la recherche prétendument omise, prenant soin de rappeler la nature du projet de ce veuf désireux de revenir dans sa région d’origine, apte à conserver s’il y a lieu une résidence secondaire dans le sud, outre principale dans le logement loué et repris, rapportant la preuve suffisante de son installation par les éléments habituels que constituent l’inscription sur les listes électorales, la déclaration fiscale, ou les abonnements divers souscrits, sans préjudice des travaux effectués dans le logement et démontrés par des factures.
Ainsi, la décision revêt un aspect pédagogique, désireuse de suggérer aux juges du fond d’accueillir avec bienveillance toutes les preuves tangibles d’un véritable intention du bailleur de s’installer effectivement dans le logement repris, laquelle demeure par définition à l’état de projet lorsqu’elle se manifeste initialement par le congé, puis se concrétise ensuite par une série d’actes confirmatifs qui ne peuvent pas toujours être anticipés ni annoncés, mais qui sont le reflet du déroulement du processus annoncé. On peut en déduire qu’il suffit au congé d’indiquer sommairement la raison primordiale de la reprise, sans autres développements pourvu qu’elle se matérialise ensuite par une série de justifications probantes venant la confirmer.
En toute hypothèse l’arrêt condamne très nettement la thèse selon laquelle le bailleur devrait se préconstituer ses preuves ou même devoir les annoncer dans le congé, l’opération de reprise impliquant des démarches multiples et étalées dans le temps. Le concept de reprise pour habiter repose largement sur la volonté du législateur de conférer au juge un vaste pouvoir de contrôle ultérieur, considéré comme apportant une sécurité suffisante pour les intérêts respectifs des parties.
On ne peut qu’approuver une souplesse dans le maniement des justifications par l’auteur du congé, à qui il serait excessif d’imposer a priori un bouclage complet d’un projet de reprise qui dépend beaucoup du délai de sa réalisation, et donc de la difficulté éventuelle de reprendre possession dans des délais décents, elle-même fonction de la résistance des occupants et aussi de la notoire lenteur de la justice locative.