Taxe foncière à la charge du preneur et abattement sur la valeur locative

par Bastien BRIGNON, Maître de conférence à l'Université d'Aix-Marseille Avocat
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L'essentiel

Article paru dans les Annales des Loyers N° 05 de mai 2024

Le transfert de la taxe foncière sur le locataire constitue une charge exorbitante de droit commun justifiant un abattement sur la valeur locative, peu important qu’il s’agisse d’un usage dans le secteur ou d’un transfert de charges existant au sein des termes de comparaison pris en compte afin d’apprécier la valeur locative.

Cass. 3e civ, 8 février 2024, n° 22-24.268, F-D, inédit

 

Le commentaire

Par cet arrêt du 8 février 2024, non publié au bulletin, la Cour de cassation réaffirme une solution désormais connue et incontestable :  dès lors que le paiement de la taxe foncière est à la charge du bailleur, toute disposition contractuelle expresse contraire caractérise l’existence d’une obligation incombant normalement au bailleur dont celui-ci s’est déchargé sur le locataire et constitue en conséquence un facteur de diminution de la valeur locative.

En l’occurrence, la société locataire avait revendiqué, à l’occasion de sa demande de renouvellement du bail commercial, la pratique d’un abattement sur la valeur locative en raison de son obligation contractuelle de rembourser au bailleur la taxe foncière. La cour d’appel de Montpellier avait refusé d’appliquer l’abattement au motif que les termes de comparaison retenus par l’expert correspondaient à des baux qui prévoyaient eux-mêmes le transfert de la taxe foncière sur le preneur, et que ce transfert de charges était couramment pratiqué dans le secteur.

Cette position, qui a pu être admise par le passé, ne l’est plus du tout aujourd’hui. Au visa des articles L. 145-33 et R. 145-8 du Code de commerce, la Cour de cassation juge, dans son arrêt du 8 février 2024, que, sauf disposition expresse, le paiement de la taxe foncière est à la charge du bailleur et que les obligations incombant normalement à celui-ci dont il s’est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Ainsi, la cour d’appel de Montpellier a violé lesdits textes en refusant de pratiquer l’abattement sur la valeur locative découlant de la loi.

Comme indiqué, la solution des juges du fond a pu être, par le passé, retenue. C’est ainsi que certaines décisions avaient exclu tout abattement au titre de l’impôt foncier, au motif notamment que les éléments de comparaison utilisés pour apprécier la valeur locative procédaient de baux mettant également à la charge du locataire le remboursement dudit impôt ou que ce remboursement constituait un usage, notamment au regard de l’activité exercée. L’idée qui prévalait, et qui avait une certaine logique, était de considérer que l’on ne pouvait comparer que des références comparables.

En ce sens, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait même appliqué une majoration à la valeur locative au motif que le locataire ne supportait pas le remboursement de la taxe foncière, alors que l’ensemble des références prises en considération afin d’apprécier la valeur locative prévoyait ce remboursement. Cette décision était demeurée isolée.

Plus récemment, la cour d’appel de Versailles a estimé, au motif que l’article R. 145-8 du Code de commerce n’est pas d’ordre public, que les loyers de référence utilisés par l’expert judiciaire à terme de comparaison prenant en compte les transferts de charges sur le preneur, spécifiquement l’impôt foncier et l’assurance de l’immeuble, il n’apparait dès lors pas justifié de déduire de la valeur locative la taxe foncière et l’assurance.

Depuis plusieurs années, la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pourtant plus en ce sens.

En 2018, elle a jugé que «La clause permettant au bailleur de refacturer la taxe foncière au preneur est une clause exorbitante du droit commun, au sens de l’article R. 145-8 du Code de commerce : elle est donc génératrice d’un abattement sur la valeur locative».

En 2019, elle a considéré : «Lorsque la taxe foncière, dont le paiement incombe normalement au bailleur, a été mise contractuellement à la charge du preneur, le montant de l’impôt foncier doit être déduit de la valeur locative par application de l’article R. 145-8 du Code de commerce, aux termes duquel les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci se s’est déchargé sur le preneur sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative».

En 2021, elle a précisé que, sauf disposition expresse, tant les grosses réparations que le paiement de la taxe foncière sont des obligations incombant normalement au bailleur et dont celui-ci s’est déchargé sur le preneur si bien qu’elles constituent un facteur de minoration de la valeur locative. Elle a également considéré qu’il en est ainsi même si les locaux sont situés dans un centre commercial au sein duquel les autres baux comportent un transfert de charges identique.

Toujours en 2021, elle a statué exactement dans le même sens en présence de bailleurs invoquant cette même argumentation et ce, au titre de dispositions contractuelles transférant sur le preneur tant l’impôt foncier que les travaux de mise en conformité, l’assurance souscrite par le bailleur et les frais de gérance.

En 2023, elle réaffirmait encore que le caractère exorbitant de la clause du bail commercial transférant la taxe foncière sur le locataire était totalement indépendant des usages contractuels pratiqués dans le voisinage, rejetant ainsi le pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui a «à bon droit retenu que l’impôt foncier mis à la charge de la locataire par le bail constituait une charge exorbitante justifiant une diminution de la valeur locative qu’elle a souverainement estimée». Pour déterminer le loyer de renouvellement, un abattement doit être appliqué sur la valeur locative, peu important l’usage ou les termes de comparaison.

Le juge est souverain dans l’application de la valeur locative. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’imputation par les juges du fond de cette taxe sur la valeur locative intervient «par une appréciation souveraine de la méthode d’évaluation qui lui paraissait la plus appropriée».

Conformément à l’article L. 145-33 du Code de commerce, texte qui n’est pas considéré comme d’ordre public, le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative, éventuellement baissière. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle qu’ «à défaut d’accord entre les parties, le montant du loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative déterminée, notamment, au regard des obligations respectives des parties». Et, en vertu de l’article R. 145-8 du Code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci s’est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative.

En l’état de ces deux textes, la Cour de cassation ne pouvait qu’estimer que, sauf disposition expresse, le paiement de la taxe foncière est à la charge du bailleur et que les obligations incombant normalement à celui-ci dont il s’est déchargé sur le locataire constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Dès lors, l’arrêt d’appel qui, pour fixer le montant du loyer du bail renouvelé à une certaine somme hors taxes et hors charges, retient, par motifs propres et adoptés, que, selon l’expert, le fait que le preneur se soit engagé à acquitter les taxes foncières ne justifie pas un abattement pour charges exorbitantes, dès lors, d’une part, que ce transfert de charges est couramment pratiqué dans le secteur, d’autre part, que les termes de comparaison retenus par l’expert correspondent à des baux mettant la taxe foncière à la charge du preneur, ne pouvait qu’être censuré.

L’impôt foncier, de même que les autres charges exorbitantes traditionnellement admises telles que l’assurance souscrite par le bailleur, travaux de mise en conformité, etc., sont des charges exorbitantes de droit commun, qui incombent exclusivement au bailleur en sa qualité de propriétaire de l’immeuble, soumis de ce fait à des obligations essentielles, dont il ne peut se décharger contractuellement sans conséquence financière. Pour la taxe foncière par exemple, en vertu de l’article 1400 du Code général des impôts «toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel». C’est la raison pour laquelle les usages en matière de rédaction de bail commercial s’avèrent étrangers à la pratique d’un tel abattement. L’article R. 145-35 permet en effet de mettre à la charge du preneur la taxe foncière, mais la conséquence est qu’elle constitue un facteur de diminution de la valeur locative.

Il ne faut pas se tromper : dans la plupart des situations, le risque pour le bailleur qui transfère à son locataire la charge de l’impôt foncier d’avoir une valeur locative fixée à la baisse est assez rare, de telle sorte qu’il reste plus avantageux pour le bailleur, de manière générale, de demander le remboursement de ladite taxe au preneur. Pour autant, le bailleur doit connaître cette règle de risque de diminution de la valeur locative dans certains cas.

En conclusion, on précisera que le bail commercial (comme le bail professionnel notamment) peut prévoir que la taxe foncière sera une charge récupérable. C’est dans l’article 1728 du Code civil qu’il est fait obligation au preneur à bail «de payer le prix du bail aux termes convenus», et on observera que, «alors que l’arrêt du 24 novembre 2021 citait intégralement l’article R. 145-8 du code de commerce, évoquant l’absence de contrepartie, les arrêts postérieurs, du 25 janvier 2023 et du 8 février 2024 n’y font plus référence». Sans doute ont-ils voulu gommer le critère de l’absence de contrepartie afin de donner une portée encore plus générale à la solution. Pour déterminer le loyer de renouvellement, un abattement doit être appliqué sur la valeur locative, peu important donc l’usage ou les termes de comparaison.