L'essentiel
Article paru dans les Annales des Loyers N° 04 d'avril 2024
La procédure engagée devant le juge des loyers commerciaux par assignation non précédée d’un mémoire est irrecevable et la situation ne peut être régularisée par la notification d’un mémoire postérieurement à la saisine dudit juge.
Cass. 3e civ, 8 février 2024, n° 22-22.301, FS-B, publié au bulletin
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Le commentaire
Un bailleur fait signifier à sa locataire un congé à effet du 31 mars 2017 avec offre de renouvellement, moyennant un nouveau loyer, puis, peu de temps avant l’expiration du délai de prescription de deux ans prévu par l’article L. 145-60 du Code de commerce, fait délivrer le 25 mars 2019 une assignation devant le juge des loyers tendant à la fixation du prix du bail renouvelé. Toutefois, il manquait au préalable le mémoire exigé par les articles R. 145-23 et suivants du Code de commerce (en vertu de l’article R. 145-27, le juge des loyers ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi).
Afin de régulariser la situation, et alors que la procédure était pendante devant le juge des loyers depuis plus d’un an, le bailleur notifie un mémoire à sa locataire, les 7 et 26 mai 2020.
La cour d’appel de Nîmes infirme le jugement du juge des loyers ayant retenu que la procédure avait été régularisée. Elle juge qu’«une procédure introduite par assignation sans mémoire préalable est irrégulière et l’action irrecevable». Au cas d’espèce, «il n’y a eu aucun mémoire préalable notifié à l’autre partie dans le délai de deux ans débutant à compter de l’expiration du bail au 31 mars 2017», de sorte que l’action était irrecevable et la procédure irrégularisable.
Le bailleur forme un pourvoi et soutient au contraire, premièrement, que l’assignation délivrée au locataire interrompt la prescription de l’action, deuxièmement, que la notification, avant que le juge ne statue, d’un mémoire régularise la procédure en fixation du prix d’un bail commercial renouvelé.
La Cour de cassation répond doublement, rejetant l’argumentation du bailleur, dans son important arrêt du 8 février 2024 (Dalloz actualité, note J.-D. Barbier et S. Valade).
D’une part, s’il est vrai qu’elle rappelle qu’en vertu de l’article 126 du Code de procédure civile, dans le cas où la situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, elle indique également, sur le fondement de l’article R. 145-27 du Code de commerce, que le juge des loyers ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi.
Ce faisant, rappelant ainsi sa jurisprudence antérieure (Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-13.780 FS-P+B ; Bull. civ. III, n° 9), elle juge que le défaut de notification d’un mémoire avant la saisine du juge des loyers donne lieu à une fin de non-recevoir, cette situation n’étant pas susceptible d’être régularisée par la notification d’un mémoire postérieurement à la remise au greffe d’une copie de l’assignation. Dès lors que la notification du mémoire est un préalable à la saisine du juge, cette notification effectuée postérieurement à la saisine du juge, ne peut régulariser la situation d’une procédure irrévocablement irrecevable (J.-P. Blatter, Pluralité de bailleurs, pluralité de mémoires, AJDI 2014, p. 169).
Mais il y a plus.
La Cour de cassation écarte les dispositions de l’article 2241 du Code civil selon lequel «la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion», autonomisant ainsi la procédure applicable au contentieux des baux commerciaux. La règle se trouve donc écartée par la règle procédurale spécifique : l’assignation n’a l’effet interruptif prévu par l’article 2241 précitée qu’autant qu’elle a été précédée du mémoire préalable exigé par le statut des baux commerciaux.
Telle est la procédure devant le juge des loyers.
Mais telle n’est pas la procédure devant le tribunal judiciaire. Pour le dire autrement, le mémoire préalable à l’introduction de la procédure devant le juge des loyers n’est obligatoire et efficace que si la procédure est engagée devant ce juge. Ainsi, si ce mémoire n’est pas suivi d’une assignation devant le juge des loyers, il perd, à l’expiration du délai de deux ans, délai de prescription dont il a interrompu le cours, son effet interruptif (Cass. 3e civ., 25 janv. 2023, n° 21-20.009, AJDI 2023, p. 343, obs. J.-P. Blatter ; D., 2023, p. 1331, obs. M.-P. Dumont ; D., 2023, p. 1420, obs. M.-L. Aldigé ; J.-P. Confino et Fl. Bons, Lexbase Affaires, mars 2023, n° 748).
En revanche, comme cela a été récemment rappelé, une action engagée devant le tribunal (et non son président) sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article R. 145-23 du Code de commerce ne peut être déclarée irrégulière au motif qu’elle n’aurait pas été précédée d’un mémoire (Cass. 3e civ., 6 juill. 2023, n° 22-16.465, F-D).
C’est la limite de la solution de l’arrêt sous commentaire.