Covid-19 et loyers commerciaux : Application des dispositions sur la perte de la chose louée (art. 1722 C. civ.)

par Bastien BRIGNON - Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille
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COVID-19L’essentiel

Même s’il n’y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à sa destination. Dès lors, l'allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions de l'article 1722 du Code civil en raison de la fermeture de son commerce durant la période de confinement, revêt le caractère d'une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer le loyer et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce.

CA Versailles, 14e ch., référé, 4 mars 2021, RG n° 20/02572

Le commentaire

La crise sanitaire fait exploser le contentieux des baux commerciaux. La présente décision, prise en référé, s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle admettant que : «(…) la fermeture administrative d’un commerce classifié comme «non-essentiel» constituait une contestation sérieuse faisant obstacle aux demandes en paiement du bailleur», pour la période en l’occurrence courant du 16 mars au 10 mai 2020.

Mieux, elle juge, comme d’autres avant elles, que l’impossibilité d’exploiter les lieux loués en raison de la fermeture des commerces pendant le premier confinement est assimilable à la perte fortuite du local prévue par l’article 1722 du Code civil (par exemple, TJ Paris, JEX, 20 janv. 2021, RG n° 20/80923, BRDA 4/21 inf. n° 19 ; Ann. Loyers n° 2021-03, p. 67, note B. Brignon. Contra TJ Strasbourg, référé, 19 févr. 2021, RG n° 20/00552, BRDA 7/21 inf. n° 24 ; T. com. Paris, 11 déc. 2020, aff. 2020/035120 ; TJ Paris, 26 oct. 2020, RG n° 20/55901, BRDA 22/20, inf. n° 24 ; CA Grenoble, 5 nov. 2020, RG n° 16/04533, BRDA 23/20, inf. n° 19 ; Lexbase Hebdo éd. Affaires, n° 656 du 26 nov. 2020, note J.-P. Dumur ; Dalloz actualité, 4 déc. 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent ; Rev. prat. rec. 2021, p. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; JT 2021, n° 237, p. 12, obs. X. Delpech).

En l’espèce, la bailleresse de locaux commerciaux a assigné sa locataire devant le juge des référés aux fins d'obtenir principalement le constat de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers et sa condamnation à lui payer une provision sur le montant des loyers et charges. Le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a fait droit à ses demandes et a notamment condamné la locataire à payer une somme provisionnelle au titre des loyers, charges, indemnités d'occupation et clause pénale pour la période allant jusqu'au 1er avril 2020 inclus. La locataire a interjeté appel : elle invoquait notamment l’existence d’une contestation sérieuse de son obligation à paiement du loyer pendant la période de confinement au visa de l'article 1722 du Code civil qui organise les incidences de la destruction de la chose louée en cours de bail.

On rappellera que, selon ce texte, si, pendant la durée du bail, le bien loué est détruit en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; s’il n’est détruit qu’en partie, le locataire peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix. La locataire s’en prévalait pour refuser de payer les loyers dus du 16 mars au 11 mai 2020. Contrairement aux premiers juges, la cour d’appel de Versailles lui donne raison : s’il n’y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir du local loué ou ne peut plus en user conformément à sa destination. Telle était la situation ici durant la période de fermeture des commerces. Dans ces conditions, l’allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions précitées de l’article 1722 du Code civil revêt le caractère d’une contestation sérieuse opposable à l’action du bailleur en paiement des loyers.

Si la crise sanitaire actuelle est assimilable, selon certains juges, à la destruction totale ou partielle de la chose louée (I), tous les juges ne sont pas au diapason et l’argumentation n’est pas sans limites (II).

Article paru dans les Annales des Loyers N° 05 de mai 2021 

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