[28-2019].- Pas-de-porte.- Accord des parties.- Procès-verbal de conciliation.- Portée.-

par Didier KRAJESKI- Professeur des universités Toulouse Capitole
Affichages : 807

Cass. 3e civ., 6 juin 2019, n° 17-19.486, publié au Bulletin.

La présente décision a les honneurs du bulletin et l’on comprend pourquoi. Lors de la conclusion d’un bail, un bailleur demande au preneur entrant de verser une somme de plus de 83 000 € correspondant aux améliorations procurées aux biens loués par le preneur antérieur. L’accord du preneur entrant est constaté par procès-verbal de conciliation établi par le président du tribunal paritaire des baux ruraux. Dans une instance en résiliation du bail, le preneur sollicite la restitution de cette somme sur le fondement de l’article L. 411-74. Sa demande est reçue par le tribunal paritaire des baux ruraux. La décision est infirmée par la cour d’appel. Selon eux, le procès-verbal de conciliation constitue un titre exécutoire empêchant l’action en restitution. Leur position revient à considérer qu’il purge l’accord de son illicéité. Leur arrêt est cassé au visa des articles L. 411-69, L. 411-74 du Code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 111-3, 4° du Code des procédures civiles d’exécution. 

La décision a d’abord l’intérêt de stigmatiser une pratique de pas-de porte. L’article L. 411-74 interdit, on le sait, deux comportements à l’occasion d’un changement d’exploitant : la remise d’une somme d’argent ou de valeurs non justifiée, ou encore la reprise d’un bien à un prix dépassant de 10 % la valeur vénale. Ici, la somme demandée correspond à l’indemnisation des améliorations réglementée par le Code rural aux articles L. 411-69 et suivants ; cela ne rend pas pour autant l’opération licite. Bien que la somme soit destinée au preneur sortant (l’article L. 411-75 prévoyant des hypothèses de cession de celle-ci), elle n’est pas payée par la bonne personne : le bailleur. Ce dernier ne fait rien moins que mettre à la charge du preneur entrant une dette qui pèse sur lui. On se trouve bien en présence d’une des pratiques prohibées (Cass. 3e civ., 18 oct. 2005, n° 04-14.837, Bull. civ. III, n° 199). 

On comprend bien que le bailleur a intérêt à se prévaloir de l’existence du procès-verbal de conciliation ; il pourrait sauver cet accord. La Cour de cassation lui dénie cet effet. La solution est parfaitement justifiée. L’article L. 111-3, 3°, du Code des procédures civiles d’exécution intègre les extraits des procès-verbaux dans la catégorie des titres exécutoires, mais celle-ci ne fait que renforcer leur force probante. L’accord entre dans la catégorie des contrats judiciaires. A propos d’un accord transactionnel, appartenant à la même catégorie, la Cour de cassation a décidé que son homologation «qui a pour seul effet de lui conférer force exécutoire ne fait pas obstacle à une contestation de la validité de cet accord devant le juge de l’exécution» (Cass. 2e civ., 28 sept. 2017, n° 16-19.184, Bull. civ. II, n° 190). En usant d’une formule équivalente dans notre affaire, la Cour de cassation autorise l’exercice de l’action en répétition, sanction civile de la pratique des pas-de-porte prohibés. L’existence d’un procès-verbal de conciliation n’y changera rien. Intéressante en matière de procédure civile, la solution est forcément pertinente en matière de baux ruraux, car elle renforce l’autorité de l’interdit énoncé dans l’article L. 411-74 du Code rural et de la pêche maritime. Nous allons voir dans les décisions rendues sur la prohibition des cessions que la Cour de cassation poursuit le même objectif.