[ENVIRONNEMENT]- Veille.- Rapport.- Loi biodiversité.- Bilan

par Guilhem GIL - Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Allain Bougrain-Dubourg et Pascal Ferey, Bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, CESE, 23 septembre 2020

La section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental a rendu au nom de celui-ci un avis ayant comme objet de dresser un bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. En matière immobilière, les rapporteurs se sont concentrés sur deux volets. Le premier concerne la séquence «Éviter, réduire, compenser (ERC)» dont le contenu a été précisé par la loi du 8 août 2016. Après avoir constaté que le cadre législatif et réglementaire est presque complet, les auteurs du document estiment que cette séquence ERC est un outil largement négligé et à lui seul très insuffisant. De nombreux constats négatifs émergent du document. En premier lieu, les dossiers de demande d’autorisation déposés par les maîtres d’ouvrage renseignent peu ou sous-estiment l’état écologique initial. En deuxième lieu, les impacts apparaissent souvent sous-estimés, ce risque étant accru pour les grands projets, aux dossiers très volumineux, où s’observe souvent une disproportion entre les moyens de contrôle et de suivi de l’administration et la puissance d’expertise technique et juridique du porteur de projet. En troisième lieu, non seulement les mesures d’évitement demeurent très rares mais encore des mesures de réduction sont-elles présentées à tort comme de l’évitement. En quatrième lieu, les mesures de compensation sont rares, ne portent que sur une fraction de la biodiversité impactée et sur des parcelles trop réduites pour être efficaces. En cinquième lieu, il apparaît en pratique que, contrairement aux termes de la loi, l’autorisation d’aménager est délivrée par le préfet avant qu’aient été obtenus les gains liés à la compensation écologique. En sixième lieu, l’état initial du site de compensation choisi est souvent mal expertisé ou sous-estimé, ce qui peut rendre vague et incertain le gain écologique final. Enfin, en septième lieu, le mécanisme des «sites naturels de compensation» est à ce jour inutilisé,  les aménageurs et les services de l'État jugeant en général plus simple et plus adapté de trouver localement, au coup par coup, les compensations répondant au mieux aux caractéristiques des impacts à compenser. De manière synthétique, les auteurs du rapport estiment que la gradation prévue par la séquence ERC est souvent détournée en un droit à artificialiser et se limite quasi-exclusivement aux termes réduire et compenser «RC», quand ce n’est pas à la seule lettre R, car les impacts sont à tort présentés comme non significatifs, ce qui peut dispenser de la compensation. Ils soulignent également que ce sont les associations qui veillent au respect du droit, par la contestation en justice des arrêtés d'autorisation, alors que c'est la responsabilité directe de l'État, chargé d'autoriser le projet, de fixer les obligations d'évitement, de réduction ou de compensation au bon niveau.

Le second volet du rapport intéressant la matière immobilière concerne l’artificialisation des sols. Les rapporteurs considèrent que celle-ci est  mal maîtrisée et que la France, qui se singularise en Europe occidentale par un rythme élevé de consommation d’espaces non artificialisés, semble appréhender les espaces naturels, agricoles et forestiers comme une variable d’ajustement de l’extension urbaine et non comme des espaces à protéger et valoriser. Le document estime que les outils réglementaires et économiques mobilisés par les pouvoirs publics, non seulement n’ont pas été conçus pour limiter cette artificialisation, mais tendent souvent à l’amplifier. En effet, selon l’analyse des rapporteurs, les outils de planification de l’urbanisme à la disposition des collectivités territoriales n’intègrent que marginalement l’exigence de sobriété foncière : les SRADDET ne comportent aucune disposition chiffrée et contraignante en matière d’artificialisation. De même, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) ne comportent pas d’exigence chiffrée de réduction des surfaces urbanisées. Quant aux plans locaux d’urbanisme (PLU), qu’ils soient communaux ou intercommunaux (les PLUi), ils sont les seuls documents à planifier l’aménagement de manière opérationnelle, en prescrivant des droits d’utilisation du sol. Mais, les auteurs du rapport observent à cet égard la concurrence entre collectivités pour attirer les entreprises sur leur territoire, ce qui augmente l’artificialisation des sols. Par ailleurs, les rapporteurs soulignent que de nombreuses dispositions ont même pour effet d’inciter à l’artificialisation, même si ce n’est pas leur objet. Ainsi, la fiscalité applicable au foncier non bâti ou l’encadrement des fermages peuvent inciter les propriétaires à vendre leurs parcelles pour des usages non agricoles. De même, la fiscalité applicable au bâti public ou celle sur la plus-value foncière, ainsi que celle sur les résidences secondaires et sur les locations de courte durée n’incite pas à une moindre artificialisation. De la même façon, des mesures de soutien au logement, comme le prêt à taux zéro, peuvent, par certains aspects, contribuer à l’artificialisation, par exemple lorsque ce prêt permet la construction d'un habitat nouveau. Néanmoins, les rapporteurs saluent l’existence de réformes positives comme l'évolution du dispositif «Pinel» qui, une première fois en 2018 a été recentré sur les zones tendues et, une seconde fois, a été recentré pour 2021 vers les bâtiments d’habitation collectifs pour éviter l’étalement urbain dans ces zones. Des remarques identiques sont formulées à l’égard de la mise en place de dispositifs d’aide à l’investissement locatif de type «Denormandie», applicable au bâti ancien dans les villes moyennes relevant du plan d’action «cœur de villes», et qui sont jugés comme allant également dans le bon sens.